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N’y a-t-il pas ici pour nous, sinon l’évêque, le chrétien du moins dans le poète ? Et quand on pense que l’objet de cette passion, la courageuse compagne de cette vie si dévouée, si charitable et terminée si vite, partageait la science comme les vertus du généreux apôtre, qu’elle rassembla les feuilles échappées de sa main mourante, que souvent elle les éclaircit, les acheva, voudrait-on se défendre d’un affectueux respect, même pour ce qui peut causer l’étonnement ou le sourire dans l’intimité d’une si tendre union ? Ne craignons pas d’en recueillir encore le pur et gracieux témoignage dans d’autres vers où le même amour est entouré et comme pénétré de cette douce et brûlante vapeur de l’Inde. Cette fois les deux époux ne sont pas séparés, et ils respirent d’une même haleine ce délicieux climat où Réginald Heber devait bientôt laisser sa vie. Hâtez-vous, assistez un moment à son repos du soir.

« Notre tâche du jour est achevée[1]. Sur le sein du Gange, le soleil incliné s’abaisse pour le repos. Amarrée sous les bouquets de tamarin, notre barque a trouvé son asile aujourd’hui. Avec sa voile repliée et ses flancs décorés de peintures, vois s’avancer la petite frégate : sur sa poupe, aux clartés du charbon, le souper savoureux du musulman bouillonne, tandis qu’à l’écart, dans l’ombre du bois, l’Hindou prépare sa nourriture plus simple.

« Viens errer avec moi à travers la forêt. Si le chasseur de là-bas nous a dit vrai, au loin, dans le désert marécageux et sauvage, le tigre a établi sa solitude, et averti, à son récent dommage, d’éviter la foudre des fusils anglais, hôte formidable, mais rare, il ne revient plus déchirer le verdoyant hameau. Avance hardiment. Le venimeux serpent ne s’abrite pas sous un si frais bocage. Fils du soleil, il aime à reposer sur une couche de feu allumé par la nature, un sol sec et brûlant, entre quelques débris de tours écroulées, au-dessus desquels le pepel étend son ombre, ou bien autour d’une tombe il enlace ses écailles, gardien naturel des portes de la mort. Avance encore ; non, arrête-toi. Regarde maintenant sous les rameaux courbés en arc du bambou, où, semant d’étincelles cette obscurité sainte, la fleur écarlate du géranium resplendit aux yeux, et où notre sentier s’égare entre maints berceaux d’arbres odorans et de fleurs géantes, tandis que l’éclat rougissant du ceiba se déploie au-dessus de l’ombrage plus modeste du plantain aux larges feuilles et sur les rangées de l’ananas rugueux. Tandis que sur le bocage, le bétel si sauvage et si beau agite sa cime dans l’air,

  1. Our task is done ! on Gunga’s breast
    The sun is sinking down to rest ;
    And moor’d, beneath the Tamarind bough,
    Our bark bas found his harbour now, etc.
    Etc…
    Come walk with me, the jungle through,
    If yonder hunter told-us true
    Far off in desert dank and rude,
    The tiger hold’s its solitude.