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entrailles n’avait que faire des richesses d’autrui. Hélas ! pourquoi le pacha a-t-il jeté les yeux sur lui ? Moins de dignités, plus de calme et de bonheur, voilà ce qu’il lui fallait. Que n’est-il resté auprès de moi, puisqu’il n’a jamais cessé de me regretter ? — Et la pauvre femme reportait son regard sur le dernier né de son Osman comme sur l’image de celui qu’elle ne devait plus revoir.

Mais Osman n’était pas le sujet unique de ces conversations ; les jeunes filles et les jeunes femmes voulaient être mises au courant des usages de Constantinople et de l’intérieur d’un harem renfermant plusieurs maîtresses. Les autres femmes d’Osman étaient-elles aussi belles et aussi jeunes que Sarah ? Avaient-elles des enfans, et combien en avaient-elles ? Sarah était sans doute la plus aimée, mais les autres avaient-elles toutes la même part dans ce qui restait du cœur d’Osman ? Étaient-elles jalouses les unes des autres ? étaient-elles bonnes, douces ou colères ? Le gardien du harem jouissait-il d’une grande autorité et n’en abusait-il pas ? Sarah sortait-elle pour aller au bain, ou prenait-elle des bains dans l’intérieur du harem ? Sarah répondait à tout de la meilleure grâce du monde ; mais tant de curiosité l’étonnait un peu, et le premier moment passé, lorsque son innocente vanité se fut accoutumée à la pensée de savoir tant de choses que ses parens ignoraient, l’ennui descendit lentement sur la pauvre enfant. Elle se dit avec tristesse et presque avec effroi que ces conversations avec ses belles-sœurs, sa belle-mère et quelques voisines formeraient désormais son unique passe-temps.

Une semaine s’était écoulée depuis l’arrivée de Sarah, et toute la population de la maisonnette avait repris ses occupations et ses habitudes, lorsque Mehemmedda ordonna à ses deux fils aînés de le suivre aux champs, parce qu’il voulait causer affaires avec eux. Les femmes s’entre-regardèrent aussitôt avec surprise et inquiétude ; quant aux jeunes gens, ils suivirent leur père en silence, et attendirent patiemment que le vieillard leur expliquât sa pensée.

Quand ils eurent atteint une prairie où les fameuses chèvres d’Angora broutaient l’herbe à leur aise sous la garde du jeune fils de Mehemmedda, ce dernier s’assit à terre à l’ombre d’un immense noyer, et permit à ses fils d’en faire autant ; il tira ensuite de sa poche une dizaine de petites poires vertes qu’il se mit à découper avec le grand couteau qu’il portait d’ordinaire à la ceinture, puis, tout en découpant et en mangeant ses poires : — Mes enfans, dit-il à ses fils, la mort de votre frère vous impose d’autres devoirs que ceux de partager avec sa veuve et ses orphelins l’abri et la nourriture ; Sarah est jeune et seule : or ces deux mots-là ne feront jamais bon ménage ensemble. Vous savez que la loi et la coutume sont d’accord pour assurer à la veuve d’un musulman un nouvel époux