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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/861

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d’ardeur guerrière, il avait, un matin, dit adieu à Virgile pour s’enrôler, et il avait fait toutes les campagnes de Marlborough. À la paix, il était venu reprendre ses fonctions ; mais il lui arrivait souvent de s’interrompre au milieu de ses leçons pour parler des pays qu’il avait parcourus, et raconter les batailles auxquelles il avait assisté. Une histoire en amenait une autre ; les légendes du pays et toutes sortes d’histoires merveilleuses mises en vers par le maître d’école succédaient bientôt aux campagnes d’Espagne et des Pays-Bas. Olivier, le plus étourdi et le plus paresseux des écoliers, devenait alors tout oreilles, et sa mémoire imperturbable retenait dans leurs moindres détails les récits du magister. Quant aux ballades que chantaient les paysans, il les savait déjà toutes par cœur, et il ne les oublia jamais. La vieille servante du logis, la bonne Peggy Golden, dont la mémoire lui était encore chère quarante ans plus tard, faisait de lui tout ce qu’elle voulait, à la condition de lui chanter la Dernière nuit de Johnny Armstrong ou la Cruauté de Barbara Allen, qui ne manquait jamais de faire couler ses larmes. L’hiver, il se glissait à la cuisine pour écouter les valets de charrue qui, suivant l’usage du pays, racontaient, chacun à son tour, quelqu’une de ces histoires fantastiques, de ces légendes miraculeuses qui abrègent les veillées, et dont chaque canton d’Irlande est abondamment pourvu. Non-seulement l’enfant répétait d’une voix juste et déjà agréable les chants qu’on lui avait appris, mais il s’essayait à mettre en ballade sur les mêmes airs les récits qu’il avait entendus. Il dévorait tous les livres qui lui tombaient sous la main dans les maisons du village ; malheureusement il n’y rencontrait guère que le genre de livres qu’on imprimait alors pour les enfans et pour le peuple : l’Histoire des Bandits irlandais, les Vies des Pirates célèbres, l’histoire de Moll Flanders, celles de Jack le contrebandier, de la belle Rosemonde et de Jane Shore, de doña Rozena, la courtisane espagnole, la Vie et les Aventures de James Freney, le plus célèbre des voleurs irlandais, enfin ces histoires de sorciers, ces romans de chevalerie qui forment en tout pays le fond de la littérature populaire. Ce jeune esprit vécut donc dès les premiers jours dans un monde de fictions et d’aventures, où tout parlait à l’imagination, où rien n’était de nature à éveiller et à fortifier le jugement. Ses parens et les visiteurs du logis, par une imprudence trop ordinaire, encourageaient comme des preuves d’une intelligence précoce des saillies qui n’étaient que l’indice d’une exaltation prématurée. Goldsmith a été le premier à reconnaître plus tard l’influence funeste que de mauvaises lectures avaient exercée sur son esprit. Adressant à son frère aîné, dans une lettre charmante, quelques conseils pour l’éducation de ses enfans, il lui recommande par-dessus tout de ne pas leur laisser