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en argent, à un dîner et à un lit pour la nuit. Le premier soin de Goldsmith, en arrivant dans une ville, était de s’enquérir s’il y aurait prochainement une soutenance de thèses, afin de gagner, à la pointe de sa logique, de quoi poursuivre sa route ; mais, quand il eut franchi les Alpes et pénétré dans le midi de la France, il lui fallut renoncer à ce moyen ingénieux de pourvoir à ses besoins. Sa flûte, qui jusque-là n’avait été pour lui qu’une distraction, devint alors sa principale ressource. Il cheminait toute la journée ; quand la nuit approchait, il s’arrêtait dans le voisinage de quelque ferme de bonne apparence et jouait les airs les plus gais de son répertoire. Les paysans ne manquaient jamais de venir sur leur porte, d’encourager le musicien à recommencer, et de lui offrir, pour prix de sa complaisance, une place au souper et un lit. Goldsmith, dans son poème du Voyageur, a peint cette scène qui se renouvelait tous les jours.


« Que de fois les sons enroués de ma flûte ont conduit la danse joyeuse dans les pays où la Loire murmure, où de grands ormes croissent le long du fleuve, où l’onde rafraîchit le souffle du zéphyr ! Musicien inhabile, en vain mes rudes accords bravaient toute mesure, et mettaient les danseurs en défaut : tout le village n’avait qu’une voix pour vanter mon talent, et dansait, oublieux des heures qui s’enfuyaient. »


Grâce à l’hospitalité des paysans français, dont il s’est plu à célébrer le bon cœur et la générosité, Goldsmith put traverser toute la France, et au printemps de 1756 il débarquait à Douvres. Il était alors dans sa vingt-huitième année. Le jour où il touche le sol de l’Angleterre, la vie du vagabond sans souci, qu’entraînaient le caprice et le goût des aventures, est terminée ; celle de l’homme de lettres va commencer.


II

On ne sait comment fit Goldsmith pour se rendre de Douvres à Londres : on a prétendu, mais sans preuve aucune, qu’il s’était engagé dans une troupe de comédiens ambulans. Il arriva dans la grande capitale, comme il le disait lui-même, « sans argent, sans amis, sans recommandations et sans impudence. » Ce fut en vain qu’il écrivit à sa famille : depuis un an, celle-ci n’avait point entendu parler de lui, et une pauvreté croissante la mettait hors d’état de lui venir en aide. On ignore comment il trouva le moyen de subsister. Dix ans plus tard, dînant chez de grands personnages, il frappa de surprise toute la compagnie en commençant un récit par ces mots : « Quand je vivais avec les mendians d’Axe-Lane. » La