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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/881

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s’embarqua à bord d’un navire qui partait pour la Jamaïque, et ne revint en Angleterre que trente ans plus tard, après les aventures les plus bizarres.

La vue de Charles réveilla chez Olivier le souvenir de tous les parens, de tous les amis qu’il avait quittés. Dans une lettre à son beau-frère Hodson, il peint éloquemment les atteintes du chagrin dont il souffre, du mal du pays, suivant l’expression même qu’il emploie. Il porte partout ce regret, ce malaise indéfinissable qui lui gâte tous les plaisirs. « Si je gravis, dit-il, la colline d’Hampstead, d’où l’œil embrasse le plus magnifique point de vue, je ne puis nier que cela ne soit beau à voir ; mais combien j’aimerais mieux être sur la petite éminence, en face de notre porte de Lissoy, et avoir devant les yeux ce qui est pour moi le plus délicieux horizon du monde ! » Loin d’être en mesure de revoir ceux qu’il aimait, Goldsmith fut contraint de retourner chez le docteur Milner, et d’y reprendre pour quelques mois des fonctions qui lui étaient extrêmement pénibles. Un morceau souvent cité du Vicaire de Wakefield et plusieurs passages de ses ouvrages attestent le triste souvenir qu’il avait gardé du métier de maître d’étude. Punir et surtout frapper les enfans étaient au-dessus de ses forces. Il fallut pourtant s’y résigner ; mais le docteur Milner, qui lui portait une réelle affection, s’engagea à demander pour lui une place de médecin au service de la compagnie des Indes, et obtint en effet une promesse de l’un des directeurs. En attendant sa nomination, qui ne vint qu’au bout de plusieurs mois, Goldsmith songea à se procurer les moyens de s’équiper et de payer son passage. Il lui fallait pour cela au moins 60 guinées. Il traduisit une couple de romans français pour Griffiths, et il composa son Essai sur la Littérature polie, coup d’œil général sur l’état de la littérature en Europe au XVIIIe siècle, livre agréable et bien fait, mais qui ne trouva de lecteurs qu’après que l’auteur fut devenu célèbre. Quand Goldsmith reçut sa nomination et un ordre de départ pour la côte de Coromandel, il n’avait pas encore ou déjà il n’avait plus l’argent nécessaire à son voyage. Il perdit donc l’occasion d’être placé, sans trop de regrets peut-être, car à cette époque se mettre au service de la compagnie des Indes, c’était s’expatrier pour la vie. Il pensa alors à entrer comme chirurgien dans la marine royale, ce qui lui laissait la chance de revenir en Angleterre après quelques années de séjour aux colonies, et il se présenta à l’examen qu’il fallait subir ; mais son inhabileté de main le fit refuser. Il était condamné à demeurer homme de lettres et à devenir célèbre.

En attendant, il faillit tâter de la prison. Pour se présenter à Surgeons’-Hall et subir l’examen, il lui avait fallu un habillement convenable. Non-seulement il n’avait pas le moyen de s’acheter des