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Reynolds ; un savant antiquaire, Percy ; des hommes du monde qui se piquaient de littérature, Topham Beauclerk, George Steevens, Langton ; des personnages politiques, Wilkes, sir William Chambers, Oglethorpe, et même des grands seigneurs, lord Charlemont et lord Clare. Reynolds et Johnson eurent l’idée de fonder, sous le nom de Club littéraire, une réunion de douze personnes qui devaient souper ensemble tous les lundis pour causer de littérature et de philosophie. Le souper fut plus tard converti en un dîner qui aurait lieu tous les vendredis, et le nombre des membres fut porté de douze à trente, lorsque les plus grands personnages briguèrent l’honneur d’en faire partie. Goldsmith fut au nombre des douze premiers membres : Johnson, Reynolds et Burke le voulurent ainsi. Hawkins insinua que ce n’était pourtant pas là la place d’un barbouilleur à la solde des libraires, et dont on ne connaissait que des compilations. La réponse devait suivre de près l’attaque. John Newbery, dont la fortune était faite, et qui voulait se retirer des affaires, était revenu à Londres pour prendre les dispositions nécessaires. Goldsmith l’y avait suivi. Ses habitudes de dissipation reprirent immédiatement le dessus : tous les auteurs faméliques, habitués à user librement de sa bourse, l’entourèrent de nouveau ; les indigens et les infirmes reprirent le chemin de son logement. Au bout de quelques mois, tous ses embarras avaient reparu, il était sous le coup d’une arrestation, et il écrivait à Johnson une lettre désespérée. Johnson accourut, le consola, et lui demanda s’il n’avait point quelque manuscrit dont il pût faire argent. Goldsmith, après avoir répondu négativement, se décida enfin à montrer à son ami le manuscrit de son roman. Au mot de roman, Johnson fit la grimace : les libraires n’en voulaient plus. Cependant il emporta le manuscrit, et il décida Francis Newbery, qui allait succéder à son oncle, à l’acquérir. Francis en donna 60 guinées, qui suffirent à tirer Goldsmith d’embarras, et il jeta le manuscrit au fond d’un tiroir, où il l’oublia. En même temps Johnson pressa John Newbery de hâter la publication du Voyageur, qui vit enfin le jour en décembre 1764. Goldsmith cette fois avait mis son nom à son ouvrage. Il aurait pu, par une dédicace, s’acquérir le patronage de quelque grand seigneur ; il voulut dédier son poème à l’humble desservant de Pallas, à son frère Henri. La première édition du Voyageur fut enlevée en quelques jours ; il s’en vendit trois autres dans le cours d’une année. Johnson allait répétant partout : « C’est le plus beau poème qui ait paru dans notre langue depuis Pope. » Il mettait ainsi Goldsmith au-dessus de Thompson, d’Akenside, de Young et de Gray.

Le Voyageur est un de ces poèmes philosophiques dont Pope a donné dans l’Essai sur l’Homme le modèle le plus vanté, et qui