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près de réussir, elle a échoué, et le lendemain elle s’est retrouvée telle qu’elle était la veille, avec quelque aggravation seulement. Il n’en reste pas moins une race ingénieuse et vive qui a l’amour du beau, une langue consacrée par la poésie, un passé plein de prestige, et qui, à travers ses tristes aventures, nourrit encore l’instinct secret et immortel d’un meilleur avenir. Or comment interrompre sans cesse la prescription de la mauvaise fortune et préparer cet avenir plus favorable ? C’est par la supériorité de tous les dons de l’imagination et de l’esprit que l’Italie a brillé dans le monde, prenant une sorte de revanche de la réalité, et c’est aussi par l’esprit qu’elle peut garder, même dans ses défaites et dans ses divisions, cette unité idéale qui est le signe des nationalités obstinées à survivre. « Accumuler la science et l’étude à tel point que le civis romanus sum résonne sur la lèvre des esclaves comme un souvenir légitime et comme une gloire présente, c’est appeler sur le visage de celui qui opprime une de ces rougeurs qui, plus qu’une bataille perdue, condamnent les puissans à douter de leur force… » Ainsi parlait, il y a quelques mois à peine, un poète, M. Prati, dans un morceau éloquent sur l’état présent des lettres italiennes. Malheureusement les dernières révolutions n’ont point été infructueuses pour l’Italie dans l’ordre seul des reconstitutions politiques ; on dirait qu’elles ont eu encore pour effet de troubler ou d’altérer la vie intellectuelle, et c’est là justement ce que M. Prati avait en vue. Il ne rappelait les esprits à un idéal plus sévère que parce qu’il croyait les voir s’en éloigner de plus en plus ; il signalait les plaies vives de la littérature italienne actuelle, l’abandon de toute étude sérieuse, le goût des imitations faciles, l’absence d’originalité et de sève, la contagion de la frivolité ou de la déclamation ; il montrait enfin comment en Italie aussi le faste des mots peut couvrir le vide des sentimens et des pensées. Le jugement est rigoureux peut-être et ne tient pas assez compte de plus d’un effort généreux. S’il était vrai cependant que la littérature italienne fût réellement atteinte du mal que décrit M. Prati, ce n’est point à coup sûr M. Guerrazzi qui la guérirait par des œuvres comme celle qu’il vient d’achever sous le titre fantasque et bizarre de l’Asino.

Le livre de M. Guerrazzi, il faut le dire, a eu plus de succès avant la publication qu’il n’en a eu depuis. On ne connaissait pas l’œuvre, mais on connaissait l’auteur, qui a été un des personnages marquans de l’Italie contemporaine. M. Guerrazzi a été pendant longtemps avocat à Livourne ; il a écrit des romans, la Bataille de Bénévent, le Siège de Florence, où il s’est montré inventeur acre et violent ; puis, la révolution aidant, il est devenu un jour une sorte de dictateur de l’éphémère république florentine, et on pouvait être curieux de savoir ce que le spectacle de son temps allait inspirer à un tel esprit, qui ne manque ni de vigueur ni d’une certaine puissance d’ironie. Il s’est trouvé que l’ancien dictateur de Florence n’avait à dérouler qu’un songe grimaçant, une vision lugubre, dont tout l’artifice consiste à faire passer le monde entier comme une vaste représentation devant un âne. L’âne, cet honnête et paisible serviteur, ce fidèle ami de Sancho, a été de tout temps l’animal de prédilection des satiriques qui veulent tourner les hommes en dérision. Sur quoi repose cette fiction nouvelle de l’Asino ? Pendant une des mille et une nuits qu’il a passées dans les prisons, M. Guerrazzi