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qui passe, aérienne, les yeux au ciel, un faible sourire arrêté sur ses lèvres roses, touchante sylphide, si consolante pour tous ceux qui l’entourent que chacun la souhaite au fond d’un puits.

Un degré ajouté à l’ironie sérieuse produit la caricature sérieuse. Ici comme tout à l’heure, l’auteur plaide les raisons du prochain; la seule différence est qu’il les plaide avec trop de chaleur; c’est une insulte sur une insulte. A ce titre, elle abonde dans Thackeray. Quelques-uns de ses grotesques sont énormes, par exemple M. Alcide de Mirobolan, cuisinier français, artiste en sauces, qui déclare sa flamme à miss Blanche au moyen de tartes symboliques, et se croit un gentleman; Mme la majoresse O’Dowd, sorte de grenadier en bonnet, la plus pompeuse et la plus bavarde des Irlandaises, occupée à régenter le régiment et à marier bon gré mal gré les célibataires; miss Briggs, vieille dame de compagnie, née pour recevoir des affronts, faire des phrases et verser des larmes; le docteur qui prouve à ses élèves mauvais latinistes que l’habitude des barbarismes conduit à l’échafaud. Ces difformités calculées n’excitent qu’un rire triste. On aperçoit toujours derrière la grimace du personnage l’air sardonique du peintre, et l’on conclut à la bassesse et à la stupidité du genre humain. D’autres figures, moins grossies, ne sont point cependant plus naturelles. On voit que l’auteur les jette exprès dans des sottises palpables et dans des contradictions marquées. Telle est miss Crawley, vieille fille immorale et libre-penseuse, qui loue les mariages disproportionnés et tombe en convulsions quant à la page suivante son neveu en fait un, qui appelle Rebecca Sharp son égale, et au même instant lui dit d’apporter les pincettes, qui, apprenant le départ de sa favorite, s’écrie avec désespoir : «Bonté du ciel! qui est-ce qui maintenant va me faire mon chocolat? » Telle est mistress Hoggarty, excellente femme, qui, ayant ruiné son neveu, s’écrie de la meilleure foi du monde que le misérable a voulu ruiner sa tante, et se plaint au ciel et aux hommes d’avoir réchauffé une vipère dans son sein. Ce style fait rire, si l’on veut, mais d’un rire triste. On vient d’apprendre que l’homme est hypocrite, injuste, tyrannique, aveugle. Affligé, on se retourne vers l’auteur, et l’on ne voit sur ses lèvres que des sarcasmes, sur son front que du chagrin.

Cherchons bien; peut-être en des sujets moins graves trouverons-nous quelque occasion de franc rire. Considérons, non plus une coquinerie, mais une mésaventure : une coquinerie révolte, une mésaventure peut amuser. Il n’en est rien; jusque dans un amusement, la satire ici conserve sa force, parce que la réflexion conserve ici son intensité. Il y a dans la drôlerie anglaise un sérieux, un effort, une application étonnante, et leurs folies comiques sont composées avec autant de science que leurs sermons. La puissante attention décom-