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style. Ses belles-filles, poussées à bout, disent qu’elles voudraient être mortes. Cette déclaration le met en joie, et il conclut par ce principe : « Ce temple de la vertu m’appartient, et si j’y invite tout Newgate ou tout Bedlam, par Dieu ! ils y seront bien reçus. » L’habitude du despotisme fait les despotes, et le meilleur moyen de mettre des tyrans dans les familles, c’est de garder des nobles dans l’état.

Reposons-nous à contempler le gentilhomme de campagne. L’innocence des champs, les respects héréditaires, les traditions de famille, la pratique de l’agriculture, l’exercice des magistratures locales ont dû produire là des hommes probes, sensés, pleins de bonté et d’honnêteté, protecteurs de leur comté et serviteurs de leur pays. Sir Pitt Crawley leur offre un modèle ; il a 100,000 francs de rente, deux sièges au parlement. Il est vrai que les deux sièges sont donnés par des bourgs pourris, et qu’il vend le second moyennant 1,500 louis par année. Il est excellent économe, et tond de si près ses fermiers, qu’il ne trouve pour locataires que des faillis. Entrepreneur de diligences, fournisseur du gouvernement, concessionnaire de mines, il paie si mal ses agens et épargne si fort sur la dépense, que ses mines s’inondent, ses chevaux crèvent, ses fournitures lui sont renvoyées. Homme populaire, il préfère toujours la société d’un maquignon à la compagnie d’un gentleman. Il jure, boit, plaisante avec les filles d’auberge, vide un verre de vin à la table d’un fermier qu’il exproprie le lendemain, rit avec un braconnier qu’il envoie deux jours après convict en Australie. Il a l’accent d’un provincial, l’esprit d’un laquais, les façons d’un rustre. À table, servi par trois laquais et par un sommelier dans de l’argent massif, il demande compte des plats et des bêtes qui les ont fournis. « Qui était ce mouton, Horrock, et quand l’avez-vous tué ? — Un des écossais à tête noire, sir Pitt. Nous l’avons tué jeudi. — Qui en a pris ? — Steel de Mudbury a pris le dos et les deux cuisses, sir Pitt ; mais il dit que le dernier était trop jeune et diablement laineux, sir Pitt. — Et les épaules ? » Le dialogue continue sur le même ton : après le mouton d’Ecosse, le cochon noir de Kent ; ces bêtes semblent la famille de sir Pitt, tant il s’y intéresse. Pour ses filles, il les laisse vagabonder dans la loge du jardinier, où elles prendront l’éducation qui se trouvera. Pour sa femme, il la bat de temps à autre. Pour ses gens, il leur redemande les liards de sa monnaie. « Un liard par jour fait sept shillings par an ; sept shillings par an sont l’intérêt de sept guinées. Ayez soin de vos liards, vieille Tinker, et les guinées vous viendront d’elles-mêmes. — Il n’a jamais donné un liard dans sa vie, dit la vieille en grommelant. — Jamais, et je n’en donnerai jamais un ; c’est contre mon principe. » Il est impudent, brutal, grossier, ladre,