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firme par l’expérience : Il n’y a que les muets qui ne disent jamais de sottises.


BABINET, de l’Institut.


PUBLICATIONS ALLEMANDES SUR LA FRANCE.

On sait avec quel soin l’Allemagne suit le développement littéraire et politique des divers pays qui représentent les destinées du monde. C’est là peut-être la meilleure part de son originalité. Dans ce travail d’exploration, qui tend à associer tous les peuples civilisés ou plutôt à les rendre de moins en moins étrangers les uns aux autres, les écrivains de l’Allemagne ont marqué leur place au premier rang. Goethe avait assigné ce but à la littérature de sa patrie; elle devait être, disait-il, la littérature centrale, die Weltliteratur, et ouvrir un asile commun à toutes les œuvres du Midi et du Nord. Qui pouvait mieux qu’elle servir d’intermédiaire entre les peuples slaves et les nations romanes? Les habitudes studieuses des Allemands, leur esprit cosmopolite, la souplesse de leur idiome, qui sait si bien, grâce aux inversions et à la libre formation des mots, se modeler sur les langues étrangères, tout les désignait pour cette tâche. Le vœu de Goethe a été en partie réalisé; les lettres allemandes, depuis un demi-siècle, se sont empressées d’accueillir toutes les productions de l’esprit humain et de les classer avec une impartialité intelligente. Un seul pays n’avait pu obtenir justice à ce tribunal, et ce pays est la France. Tandis que, des Hindous aux Anglo-Saxons de l’Amérique, tous les peuples trouvaient à Berlin, à Vienne, à Munich, à Dresde, à Leipzig, à Goettingue, à Heidelberg, des juges sans prévention, le génie et les œuvres de la France y étaient l’objet d’une hostilité de parti pris. Il est inutile de rappeler ici les causes de cette malveillance; je suis heureux, au contraire, d’avoir à signaler certains symptômes qui prouvent qu’elle disparaît de jour en jour.

Il y a quelques mois, un critique dont l’autorité va croissant, M. Julien Schmidt, dans son Histoire de la Littérature allemande au dix-neuvième siècle, rendait un éclatant hommage aux deux grands siècles littéraires de la France. — Sans Boileau et Voltaire, disait M. Schmidt, qui sait si nous aurions Goethe? — Ces mots sont d’autant plus significatifs, que M. Schmidt, dans le premier de ses écrits, avait jugé Corneille et Racine, Molière et Boileau. Voltaire et Montesquieu, au nom de ce teutonisme altier qui manifestait alors tant de dédain pour les littératures romanes. M. Julien Schmidt est un esprit vigoureux qui a traversé, sans en garder l’empreinte, cette mauvaise école du teutonisme; il habite aujourd’hui des régions plus sereines, il s’est débarrassé des systèmes exclusifs, et n’a plus d’autre passion que celle du vrai et du beau. L’influence des principes de M. Schmidt se fait déjà sentir ; on étudie notre histoire littéraire sans prévention aucune, et les époques les plus décriées naguère par Wilhelm Schlegel et ses amis sont interrogées avec respect. Félicitons-nous : les écrivains allemands commencent à lire Corneille et Molière avec une sympathie aussi cordiale que s’il s’agissait des drames indiens de Kalidasa ou des proclamations du monarque égyptien Amasis.