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ceux de Chrestien de Troyes, le traducteur de Perceval le. Gallois cité par M. iiolland, termine ainsi le prologue de son récit : « Parquoy à tous auditeurs et lecteurs qui ce traictié liront et orront prie et requiers retenir et réserver le grain et mettre au vent la paille. » M. Holland aurait dû prendre ce conseil pour lui : s’il avait mis au vent la paille et réserve le grain, on n’aurait que des éloges à donner à son livre.

Tandis que le professeur de Tubingue écrivait cette longue et indigeste monographie sur un de nos trouvères du XIIe siècle, un jeune écrivain français publiait une étude sur le poète allemand qui a transformé les œuvres de ce trouvère. Le Parcival de Wolfram d’Eschenbach et la Légende du Saint-Graal, tel est le titre de cet ouvrage. L’auteur, M. Heinrich, chargé du cours de littérature étrangère à la faculté des lettres de Lyon, a mieux servi la littérature allemande que M. Holland n’a servi la nôtre. On ne connaît guère l’esprit et le rôle de Chrestien de Troyes quand on a lu jusqu’au bout les dissertations de l’écrivain allemand, avec ces notes bibliographiques sans fin qui ressemblent aux catalogues de la foire de Leipzig; M. Heinrich est aussi net que savant, il néglige les choses inutiles et va droit à son but. Lorsqu’on ferme son livre, on sait exactement ce qu’était Wolfram d’Eschenbach, en quoi consiste l’originalité de son esprit, ce qu’il a fait des légendes du Saint-Graal, quels sont ses rapports avec Chrestien de Troyes, comment le Parcival surpasse les Niebelungen et reste bien au-dessous de la Divine Comédie. Il y aurait sans doute des objections à faire à certaines conjectures de M. Heinrich : on est sûr au moins du terrain où l’on marche, et la discussion est profitable avec un écrivain qui dit nettement ce qu’il veut dire; mais je regretterais de blesser M. Holland par cette comparaison empruntée à la France. Qu’il cherche des modèles en Allemagne, il en trouvera sans peine. L’érudition allemande, depuis quelques années, se préoccupe avant tout de la précision et de la clarté. Une école s’est formée qui ne s’amuse plus comme autrefois aux solennelles frivolités du pédantisme. On écrit pour être lu, on veut être lu pour exercer une action. Les sujets les plus ardus, des sujets réservés naguère aux érudits de profession, l’histoire de l’Orient primitif, celle de l’antiquité grecque et romaine, ont été renouvelés avec un profond savoir et une netteté lumineuse; MM. Max Duncker, Mommsen, Droysen, Schœmmann, Preller, ont voulu que les dernières découvertes de l’archéologie fussent rendues accessibles à la foule. Les écrivains qui s’occupent du moyen âge doivent entrer dans la même voie; sinon, toute leur science sera vaine et mourra dans l’oubli.

M. Adolphe Ebert appartient à l’école où je voudrais voir M. Rolland; son érudition est au service d’une pensée, et cette pensée est exprimée avec franchise. Au lieu de rassembler minutieusement ce que des centaines d’écrivains, autorisés ou non, ont écrit sur le sujet qu’il traite, il s’applique à penser par lui-même. Quand il cite, il choisit; ce n’est pas une érudition qui s’étale, c’est une science qui se possède. La question même qu’il s’est posée atteste un chercheur original : quel a été le développement de la poésie dramatique en France au XVIe siècle[1]? Entre les mystères du moyen

  1. Entwicklungs-Geschichte der Französischen Tragödie, vornehmlich im XVI Jahrhundert, von Adolf Eberl; i vol. Gotha 1856; Paris, Glaeser.