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litz de Müllen avait-il emporté de Mittau des instructions qui lui enjoignaient d’insister absolument auprès du roi pour qu’il le renvoyât avec une solution et des ordres. Après beaucoup d’irrésolutions, il fut enfin décidé que cet officier repartirait le 21 décembre. Le matin de ce jour, le major vint prendre congé du roi, et le supplia de vouloir bien lui dire comment devait agir son général. À cette prière, le roi tressaillit : « l’empereur Napoléon, dit-il, est un grand génie, il sait toujours trouver des moyens de salut. » Alors le major Seidlitz crut devoir poser la question en ces termes précis : « Dans le cas où la ruine des troupes françaises serait aussi complète qu’on doit maintenant le supposer, le roi veut-il que nous restions strictement fidèles à l’alliance ? » Pour toute réponse, le roi dit ces simples mots : Selon les circonstances ; puis il leva immédiatement l’audience et congédia le major.

Cependant les événemens se précipitaient. Le 9 décembre, le prince Berthier écrivit de Wilna, par ordre du roi de Naples, au duc de Tarente, que l’empereur avait quitté l’armée, que tous les corps se retiraient sur le Niémen, et il l’invita à diriger celui qu’il commandait sur Tilsitt. Cette lettre, au lieu d’être expédiée par triplicata et à toute vitesse, fut confiée à un étranger, à un Prussien, le major Schrinck, qui employa neuf jours à faire un trajet qu’il aurait pu faire en trois, et qui ne la remit au maréchal que dans la journée du 18. Une seconde lettre, beaucoup plus explicite que la première et datée du 14, informa le duc de Tarente de la véritable situation des choses. Elle lui apprit la détresse de l’armée, l’impossibilité qu’elle tînt pied nulle part, son mouvement de retraite sur les places de la Vistule, et l’intention toutefois du roi de Naples d’attendre à Gumbinen l’arrivée du 10e corps. Il était prescrit à Macdonaid, conformément aux instructions laissées par l’empereur, de se diriger sur Wehlhau et de prendre position sur la ligne de la Pregel. Ces nouvelles navrèrent de tristesse le duc de Tarente. Déjà les sinistres rumeurs qui circulaient dans le camp ne l’y avaient que trop préparé. Il déplora amèrement le retard qu’on avait mis à lui envoyer des ordres. Il écrivit le 20 au major-général : « Je suis accablé de douleur en pensant que le 10e corps, averti à temps, aurait pu servir de noyau à la grande armée et la flanquer avant l’évacuation de Kowno. » Il ne cacha pas au prince que les dispositions dont était animé le contingent prussien lui causaient de vives inquiétudes, et il le supplia de ne pas l’abandonner dans cette situation critique. Sa lettre se terminait par ces mâles paroles : « Pour sauver le 10e corps, je ferai tout ce que l’honneur commande, tout ce que le devoir prescrit : je ferai plus que l’impossible. » Murat envoya au-devant de lui, pour le recueillir et le soutenir, le maréchal Ney avec douze bataillons de la division du général Heudelet.