Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toire ou résister à l’action dissolvante d’un revers. Ces précieuses qualités ne s’improvisent pas, et il faut des années pour faire un bon soldat.

Pendant que ce suprême effort s’accomplissait en France, les conséquences de la défection du général York se développaient rapidement. La position du duc de Tarente était devenue extrêmement critique ; les Prussiens l’avaient abandonné au milieu d’un mouvement de retraite opérée dans les conditions les plus périlleuses. Il ne lui restait plus que 5,000 hommes de la division Grandjean ; il n’avait plus un seul escadron, plus de vivres, plus de munitions, tandis que les Russes avaient une cavalerie nombreuse et ne manquaient de rien. Néanmoins il put s’échapper de Tilsitt avec sa petite colonne, gagna rapidement Lapiau et Taplaken, où Ney s’était porté avec la division Heudelet pour le recueillir, et atteignit Kœnigsberg, serré de fort près par les bandes de Lestoc, de Pavis, de Diebitch et du jeune Kutusof. Wittgenstein avec son corps s’avançait également, mais distancé de plusieurs marches. Les Russes se portaient sur Elbing dans l’espoir de déborder Macdonald, d’empêcher sa jonction avec le roi de Naples et de l’enfermer dans les murs de Kœnigsberg. Leurs dispositions ne permirent pas au maréchal de s’arrêter dans cette place. Il l’évacua au plus vite avec les divisions Grandjean, Heudelet et Marchand, se dirigea d’abord sur Braumberg, puis sur Fraumbourg, et, apprenant que les Russes poursuivaient leur marche, dut accélérer son mouvement rétrograde.

Tandis que Wittgenstein poussait devant lui sur la Basse-Vistule les troupes de Macdonald, le vieux Kutusof, avec le gros de l’armée russe, se portait sur Schwarzenberg, dont le corps d’armée occupait le grand-duché de Varsovie, et qui s’en montrait très alarmé. Dans cet état de choses. Murat résolut de faire un suprême effort pour arrêter Wittgenstein. Il fit savoir à Macdonald qu’il était décidé à ne plus évacuer de terrain sans combattre, qu’il se rendait à Elbing, et qu’au premier avis il le rejoindrait pour livrer bataille. C’était la une résolution téméraire ; on s’était abusé sur le nombre des soldats valides qui, après le désastre de la Bérésina, avaient jeté leurs armes et étaient venus se réfugier dans les places de la Vistule. On avait espéré en recueillir de 20 à 25,000. Les états de situation dressés par les chefs de corps donnaient des résultats lamentables ; ils constataient que la plupart des soldats et des officiers avaient leurs extrémités gelées, et ne sortiraient des ambulances que morts ou mutilés. Le nombre de ceux qui survécurent sains de corps et d’esprit à ce grand désastre fut imperceptible. Des corps d’armée tout entiers se trouvèrent réduits chacun à un bataillon de 5 à 600 hommes. Murât n’avait donc d’autres forces pour le moment disponibles que la division Grandjean, celle du général Marchand, les dix-huit batail-