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J’en conclus que la première fois il n’avait lu ni Bossuet ni Bourdaloue, et que la seconde fois, s’il a pris quelque connaissance de Bourdaloue, il a persévéré à ne pas lire Bossuet. Sans doute il ne faut pas s’inquiéter de cette question des rangs; mais s’il est d’une critique éclairée de n’en pas marquer, il ne faut pas tolérer que des livres accrédités mettent au dernier celui qui doit être au premier. Une distribution des rangs, qui peut avoir pour effet d’ôter des lecteurs à Bossuet et de faire trop admirer Massillon, est une erreur préjudiciable à l’esprit français. Il y aurait presque autant d’injustice à donner aux tragédies de Voltaire le prix sur celles de Corneille qu’à mettre les sermons de Massillon au-dessus de ceux de Bossuet. Si vous voulez tenir haut les esprits, élevez les modèles; ne mettez pas l’habileté avant le génie, et préférez l’art sévère à l’art complaisant. Pour être juste envers Bossuet, il faut le faire passer du dernier rang au premier; Bourdaloue restera au second, et cet ordre des grands noms de la prédication en France indiquera la marche et les changemens de cet art où, parmi les nations chrétiennes, la nôtre est sans rivale.

Dans les sermons de Bossuet, la doctrine tient plus de place que la morale. Cette seule proportion est déjà du génie. Il est vrai que le tour d’esprit de son temps la lui indiquait. À cette époque, le sermon était prêché devant une cour religieuse et des auditeurs exercés aux matières théologiques. Au commencement du XVIIIe siècle, la chaire aura pour auditoire une cour dégoûtée de la religion par les querelles de théologie, des fidèles qui n’écoutent guère que par respect humain. La doctrine y sera éludée, et la morale prendra toute la place. Aidé par son époque, Bossuet pouvait donner au sermon son vrai caractère, qui est d’être un enseignement de foi avant d’être un enseignement de morale. Que sont en effet les prescriptions sans la loi, et quelle différence y a-t-il, en matière de morale, entre l’enseignement philosophique et l’enseignement religieux, si l’auditeur n’y voit que des conseils qu’il est libre de négliger ou de suivre? L’important, c’est le dogme, qui fait obéir à la morale. Mettez-moi d’abord en paix sur l’origine et la sanction de la morale ; apprenez-moi au nom de qui vous me l’enseignez; persuadez-moi qu’une autre vie m’attend après celle-ci, où il me sera fait selon ce que j’aurai mérité. C’est par là que doit commencer le prédicateur chrétien. S’il ne trouve rien de plus fort contre mes passions que le consentement passager que lui donne ma raison naturelle au moment où il développe des maximes que j’ai déjà lues dans les livres, je risque fort de garder mon mal. Et quant à la punition qu’il m’affirme plutôt qu’il ne me la prouve, je demeure dans ce doute commode qui incline vers la croyance quand la passion est endormie, vers l’incré-