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mosaïstes vénitiens, depuis la chapelle de Roger jusqu’à la basilique de Saint-Paul-Hors-des-Murs, dans la banlieue de Rome, on ne voit nulle part la mosaïque essayer de lutter avec la peinture à l’huile et tenter de modeler la forme, comme le pinceau sur la toile ou le bois. Il y a dans cette vérité, trop facile à démontrer pour que j’y insiste, un enseignement qui ne doit pas être perdu, que les historiens ne sauraient négliger sans compromettre la justesse de leurs décisions. Les premières impressions reçues par Titien avaient laissé dans son intelligence une trace profonde, et les leçons des deux Bellini, Gentile et Giovanni, n’ont pas effacé le souvenir des mosaïques de Saint-Marc. La splendeur et l’harmonie de ces admirables ouvrages se retrouvent dans les toiles de Titien. Le modelé, qui manque à ces radieuses mosaïques, manque trop souvent aussi aux plus belles conceptions, aux inventions les plus ingénieuses du maître vénitien.

L’éducation pittoresque du maître qui nous occupe mérite une attention toute spéciale. Ce n’est pas que les premières leçons qui lui ont été données présentent un caractère inattendu ; mais elles ne s’accordent pas avec la nature de ses premières œuvres, et nous devons chercher ailleurs que dans ces leçons la source de son talent. Son premier maître fut Sébastien Zuccato, père de Valerio et Francesco Zuccato, à qui nous devons les plus belles mosaïques de Saint-Marc, et pour payer ce premier enseignement, Titien composa dans sa maturité des cartons qui servirent de modèles à Valerio et à Francesco : il ne pouvait reconnaître plus dignement les services qu’il avait reçus de son premier maître. De l’atelier de Sébastien Zuccato, il passe dans celui de Jean Bellini, dont la manière ne peut se confondre avec la sienne. Cependant, pour juger Jean Bellini comme la plupart des maîtres italiens, il faut l’étudier dans sa patrie. Quoique les principales galeries d’Europe possèdent des ouvrages de sa main dont le mérite ne saurait être contesté, c’est à Venise qu’on peut prendre la vraie mesure de son talent. J’ai vu dans quelques églises vénitiennes des tableaux, dont l’origine n’a jamais été révoquée en doute, qui révèlent chez Jean Bellini le sérieux désir et la sincère espérance de lutter avec le plus illustre de ses élèves. Dans ces ouvrages, le principe du dessin s’est agrandi, les extrémités sont moins grêles, et les plans du visage sont indiqués plus largement.

Bellini, si nous devons nous en rapporter au témoignage des contemporains, ne comprit pas d’abord la valeur du jeune Vecelli ; il voyait avec peine, avec dépit, l’indépendance de son élève, et ne pressentait pas ses hautes destinées. Plein de confiance dans la méthode qu’il avait suivie aux applaudissemens de Venise, il n’aurait pas hésité à déclarer que Titien ne ferait jamais rien de bon. Est-il bien certain que cette parole ait été prononcée ? Je me permettrai