Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/496

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vivre et de mériter l’admiration. La beauté de Marie réduite aux proportions humaines, la beauté sans extase, la beauté qui ne parle qu’aux yeux et ne dit rien à la pensée, n’est pas ce que la peinture doit se proposer dans un pareil sujet. Sans remonter jusqu’à Giotto, jusqu’à Fra Angelico, on peut s’assurer que les grands maîtres de l’Italie ont compris autrement que Titien la beauté de la vierge Marie. Ils la voulaient belle pour le regard, mais supérieure à la nature humaine. Ils ne séparaient pas le personnage de son rôle. Tout en conservant les contours de la forme, ils se rappelaient qu’ils avaient à représenter quelque chose de plus qu’une créature séduisante. Titien ne s’en est pas souvenu, et c’est à cet oubli que nous devons attribuer le caractère incomplet de sa composition. La figure principale, malgré les mérites éminens qui la recommandent, ne réunit pas les conditions poétiques dont elle ne saurait se passer. Ici la poésie et la religion se confondent. La croyance, je veux dire l’expression de la croyance, n’est pas moins importante que la pureté des contours. La transparence de la chair, la limpidité du regard, la jeunesse empreinte dans tous les traits du visage ne sont que la moitié de la tâche : l’idéal est absent.

Quant à la figure qui occupe la partie supérieure de la toile et représente le Créateur, les admirateurs les plus fervens du maître vénitien n’oseraient la ranger parmi ses inventions les plus heureuses. On dirait que dans sa pensée cette figure ne devait avoir qu’une importance secondaire. Or je ne crois pas qu’une telle opinion puisse être soutenue. Assurément, dans un tableau de l’assomption les regards doivent d’abord se porter sur le personnage principal, sur la Vierge ; mais voir dans le Créateur une figure accessoire, une figure de décoration, est un caprice très singulier, qui blesse le goût aussi bien que la foi. Si Dieu dans un tel sujet n’est pas traité avec un soin jaloux, s’il ne porte pas sur son visage l’expression de la grandeur, de la puissance, de la bonté, il devient un personnage inutile, et ne sert plus à expliquer le sens de la composition.

Les anges qui font cortège à la Vierge et la guident vers le trône éternel sont d’une jeunesse, d’une splendeur que Titien n’a jamais surpassées. Le plaisir qu’on éprouve à les contempler est de ceux qui laissent dans la mémoire une trace durable et profonde. Les voyageurs qui n’ont visité qu’une fois l’Académie de Venise se souviennent des anges de l’Assomption, et cette image a pour eux tant de charme, qu’ils proclameraient volontiers Titien le premier maître de l’Italie. Si le plaisir devait régler toutes les questions de goût, je consentirais à leur donner raison, car ces figures semblent pétries dans la lumière ; les louanges qui leur sont prodiguées sont des louanges légitimes. Il ne faut pas oublier toutefois que si l’auteur a