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la salle de la Signature, la pensée n’a pas moins d’importance que la forme et la couleur ; aussi Michel-Ange et Léonard, Raphaël et Allegri, passent avant Titien. L’Assomption, que je viens d’étudier avec autant de sympathie que d’attention, réussirait peut-être à dissimuler l’imperfection de la forme sous la richesse de la couleur, si la part faite à l’intelligence n’était pas si indigente ; mais le caractère incomplet de la conception ne permet pas de placer l’auteur sur la même ligne que les maîtres dont j’ai rappelé les noms. L’exemple de Titien devrait éclairer les peintres de notre temps. Il savait représenter ce qu’il avait vu, il rendait fidèlement ce qui avait passé sous ses yeux, et pourtant il n’est que le cinquième.

La Présentation de la Vierge au Temple, qui se trouve placée à Venise dans la même salle que l’Assomption, me paraît supérieure à ce dernier ouvrage. Pour la fraîcheur, la jeunesse, la virginité des tons, la Présentation ne laisse rien à désirer, et ce qui la recommande à mes yeux d’une manière plus décisive que le charme de la couleur, c’est que l’intelligence de l’auteur s’accorde parfaitement avec la nature du sujet. Cet épisode en effet appartient aux premières années de la vie de la Vierge, aux années que j’appellerais purement humaines, s’il était possible d’établir une distinction entre la première et la seconde moitié de cette vie prédestinée. Sans aborder cette question, qui n’est pas de ma compétence, je puis du moins affirmer que la Présentation de la Vierge au Temple n’exige pas la même finesse d’imagination que l’Assomption ; aussi Titien, plus à l’aise dans la Présentation, a révélé plus librement l’étendue et la richesse de ses facultés. La composition occupe un espace considérable, et si par un artifice d’optique on en réduit les proportions, on croit avoir devant les yeux un tableau flamand. C’est la même simplicité, la même naïveté, et le même dédain pour l’unité rigoureuse. Les personnages qui gravissent les degrés du temple sont traités avec élégance ; le prêtre qui les reçoit sous le portique paraît pénétré de la dignité de ses fonctions. Jusque-là, tout demeure dans les données purement italiennes ; mais le temple est vu de profil, et sur le devant de la toile, sur le premier plan, l’auteur a placé des femmes pauvrement vêtues qui vendent des œufs et des légumes : c’est là, si je ne m’abuse, une idée toute flamande. Les femmes dont je parle intéressent le spectateur par l’éclat de leur santé, par la vérité de l’attitude, ce qui est à coup sûr un mérite toujours digne d’éloge. Elles détournent l’attention du sujet principal ou plutôt du sujet réel, de la présentation de la Vierge au temple, ce qui est un grave défaut dans le domaine de l’art pur. Ici l’épisode a presque autant d’importance que l’action, et pour s’en plaindre il.n’est pas nécessaire de posséder une grande sagacité. Cependant, malgré les marchandes