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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/660

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me semblent presque toujours de convention. Rarement ils me donnent du personnage l’impression que me laisse la lecture des témoignages contemporains. À force de vouloir être majestueux et noblement classiques, de viser au grand art et de vouloir s’en tenir aux grandes lignes, la plupart des historiens oublient de nous donner la physionomie véritable du personnage qu’ils veulent représenter. Il me semble souvent que le portrait de tel personnage pourrait être celui de tel autre et pourrait servir plusieurs fois. Cependant les traits généraux d’une physionomie ne sont point ceux qui la caractérisent. Ce qui caractérise l’individu extérieurement, c’est un trait, le plus souvent délicat et fin, une nuance insaisissable, un pli, une ride, et moralement, c’est une combinaison naturelle et unique de vertus et de vices qui ne s’est rencontrée qu’une fois et qui ne se rencontrera plus. Si vous voulez me faire comprendre telle individualité, ne me dites pas qu’elle avait tel vice et telle vertu, faites-moi comprendre à quelle dose ce vice et cette vertu existaient en elle. Faites-moi assister à la formation de ce mélange, dites-moi comment et sous l’empire de quelle nécessité cette alliance des contraires a pu se produire ; dites-moi l’allure particulière de tel personnage, sa démarche, son attitude lourde ou gracieuse, ses gestes, que sais-je ? sa manière de saluer. Ne craignez pas d’être trivial ; le cure-dents que Coligny mâchait avec une fureur concentrée aux heures de péril m’éclaire plus sur la nature de cet homme que toutes les phrases générales. Ne cédez point non plus à la crainte trop commune aux esprits scolastiques d’insister sur la personne physique ; la mâchoire inférieure de Charles-Quint m’en dit plus sur son ambition que de longues dissertations sur ses plans et ses conquêtes. Enfin ne craignez même pas d’être puéril, et si vous me parlez de Cromwell, n’oubliez pas sa ceinture de cuir et ses bottes à genouillères ; elles font partie de sa physionomie robuste, bourgeoise et militaire.

C’est ainsi que fait M. Michelet ; il excelle à nous peindre ses personnages, à les replacer dans le milieu où ils vécurent, avec tous les détails accessoires qui firent partie de leur vie, et il sait trouver pour chacun le procédé qui peut le mieux le faire saisir et comprendre. Il varie à l’infini ses procédés, il emploie indifféremment le trait sec et minutieux d’Albert Dürer ou le crayon savant d’un maître italien, et passe d’un portrait étudié à la Van-Dyck à une esquisse légère et rapide à la Callot. Voici Maximilien par exemple : le trait principal de son caractère, c’est d’être chimérique ; mais de quelle manière l’était-il et dans quelle mesure ? Comment et pourquoi ? L’était-il à la manière de son beau-père, le sombre Téméraire, ou l’était-il avec âpreté et gravité comme le sera tel illustre Espagnol dans le siècle qui va s’ouvrir ? Écoutons M. Michelet : « Le profond Albert Dürer, dans son