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MARTHE

I.


Qui a pu aimer une femme belle et artiste sans maudire dans certains momens son talent et sa beauté ? Qui n’a pas vu dans les regards admiratifs attachés sur elle une profanation de sa personne ? Qui ne s’est pas irrité des émotions que sa voix faisait naître, comme d’une sorte de prostitution de son âme ? Comment se résigner à voir la femme qu’on aime parler au public la langue par excellence de la passion ? Et le chant est si bien cette langue, que dans le langage ordinaire lui-même, les mots n’expriment tout au plus que les idées ; c’est l’intonation qui est chargée de traduire toutes les nuances du sentiment. Une femme dit : « Je l’adore ! » en parlant de son épagneul, et quand elle murmure les mêmes paroles à l’oreille de son amant, les trois syllabes dont ce verbe est composé ne changent pas. Quel abîme pourtant entre les deux phrases !

Manuel pensait aussi, avec tous les amoureux, qu’il y a une atroce et impudente coquetterie, de la part d’une femme, à répandre sa vie en brûlans accens devant un homme dont elle se sent aimée, à se montrer à lui le sein palpitant, l’œil humide de tendresse, comme pour lui dire : « Voyez comme ma voix sait trembler, voyez comme mon cœur sait battre, voyez comme je comprends l’amour ! Mais malheur à vous si vous oubliez que ce n’est qu’un jeu, car quand je vous aurai enivré, troublé jusqu’au délire, je redeviendrai calme, froide, impassible, et je n’aurai pour vos souffrances qu’un sourire de dédain. »

Toutes ces impressions, il les avait déjà ressenties en entendant