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sont jeunes, plus elles lui plaisent. Cependant on voudra bien nous accorder que les sensations que procure la musique peuvent être aussi différentes que celles que nous donnent la poésie, la peinture et les autres arts. On ne confondra jamais l’émotion réelle qu’on éprouve à un bon mélodrame de la Gaîté avec celle qu’on emporte d’une représentation de Polyeucte, quand une artiste comme Mlle Rachel prête son talent au personnage de Pauline. Eh bien ! la même hiérarchie d’émotions se produit également dans l’art musical, et il ne faut pas être un bien profond connaisseur pour ne pas sentir quelle prodigieuse distancé sépare un morceau comme le finale du troisième acte de Moïse que nous avons entendu exécuter dimanche dernier au concert du Conservatoire, où il a excité des transports d’enthousiasme ; quelle distance, disons-nous, sépare cette conception sublime de la scène touchante, mais médiocre, du miserere au quatrième acte du Trovatore. On ne discute pas avec les marchands de fausses notes qui peuvent confondre dans leur sotte admiration un mélodrame de M. Bouchardy avec le Don Juan de Mozart ou le Guillaume Tell de Rossini.

L’opéra de Rigoletto, qui est exécuté avec soin au Théâtre-Italien par MM. Mario et Corsi, par l’Alboni, qui est aussi bonne à entendre qu’à voir dans le rôle de Maddalena, mais surtout par Mme Frezzolini, qui déploie dans le personnage de Gilda la grâce d’une créature d’élite qui survit à l’affaiblissement de ses organes, Rigoletto n’est pas de nature à modifier l’opinion que nous avons émise ici depuis dix ans sur l’œuvre de M. Verdi. Ce n’est point une école nouvelle que le compositeur lombard est venu inaugurer, comme l’écrivent étourdiment ses sectateurs ; ses ouvrages témoignent plutôt de l’absence d’une école quelconque. Sans vouloir contester le moins du monde le succès qu’obtiennent en Europe certains opéras de M. Verdi, nous nous efforçons d’en peser la valeur, et les acclamations de la foule ne suffisent pas pour ébranler notre conviction. On assure que M. Verdi, dans ses momens d’épanchement, a l’habitude de s’écrier avec bonhomie : Io sono un paesano. Nous serions presque tenté de prendre M. Verdi au mot, tant ce cri de la conscience nous paraît significatif et vrai. Oui, le compositeur qui pendant un interrègne du génie est venu surprendre la sensibilité oisive de l’Italie est une nature agreste et fortement trempée, qui a importé sur la scène lyrique d’un peuple délicat les accens passionnés, mais frustes de son village. On dirait que l’inspiration de M. Verdi a quelque chose de la sève acre du sauvageon. On sent que la main d’un jardinier habile fait défaut dans ces étranges partitions, remplies de grands coups d’épée et de sonorités grossières, mais souvent pittoresques. M. Verdi possède à un très haut degré le sentiment des situations dramatiques ; seulement l’art suprême de les préparer, de les développer et d’économiser les effets de la passion lui est inconnu. Ses amoureux sont comme les amoureux de village, ils se font la cour à coups de poing, et au moindre mot équivoque, ses héros tirent le couteau et s’éventrent comme des Calabrais. Aucune flexibilité de style, point de grâce et d’imagination, des mélodies courtes, mais colorées et très expressives, des ensembles vigoureux qui rendent avec puissance la mêlée des passions violentes, des chœurs bien rhythmés, une instrumentation bruyante et vide tout à la fois, remplie de grosses couleurs et de placages d’écolier ; enfin les qualités et les défauts d’un Claudien et