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Nous avons déjà atteint un nombre considérable de non-combattans, et nous n’avons pas encore parlé du personnel si nombreux de domestiques dont les usages et aussi les nécessités de ces impitoyables climats forcent les Européens de s’entourer. Comme il a été dit, chaque plat de soldats européens dans l’Inde a son cuisinier, son marmiton, son porteur d’eau, son blanchisseur, etc. Enfin tout officier anglais est suivi en moyenne de dix domestiques. En effet, l’on reste au-dessous du chiffre réel en disant que les officiers supérieurs doivent traîner à leur suite 20 domestiques, les capitaines 10 ou 12, les subalternes de 7 à 9. De plus, il y a des lascars pour piquer les tentes, porter les palanquins destinés aux malades et aux blessés, etc. Enfin il faut tenir compte des professions si diverses, marchands, artisans, bayadères et voleurs, qui s’attachent à la fortune d’une armée en campagne dans l’Inde, et font d’un camp européen un des spectacles les plus extraordinaires qu’il soit possible de rencontrer.

Au signal donné, en un clin d’œil, le camp s’organise. Il sort de dessous terre une manière de Babylone, où les tentes bien alignées des soldats forment un contraste frappant avec les abris si divers que les natifs s’improvisent avec une industrie sauvage. Aux abords du camp, fument dans des chaudrons homériques des quartiers de bœuf et de mouton destinés au repas du soir de la troupe européenne. Les soldats natifs, éparpillés plus loin devant des milliers de petits feux, suivent d’un œil plein d’intérêt la cuisson de leur riz ou de leur gruau. À quelque distance est le bazar, où s’élèvent des boutiques de changeurs, d’habillemens, de comestibles, de liqueurs surtout, dont le noir détaillant vend à prix d’or le claret aux jeunes gens, le porto aux hommes, l’eau-de-vie aux héros. L’art même, l’art indien, est représenté dans cette cité d’une heure. Voici des équilibristes, des jongleurs, qui avalent d’excellentes épées et font commerce d’amitié avec les serpens les plus à sonnettes. Voulez-vous même varier vos plaisirs, à quelques pas de là, des bayadères livrent en plein vent à l’admiration publique leur chorégraphie monotone et leurs chants mélancoliques. Et l’étonnement de ce spectacle n’est pas seulement pour les yeux : le grondement des éléphans, le hennissement des chevaux, le gloussement des chameaux, le bêlement des moutons, le chant du coq, le bruit confus de mille voix humaines qui parlent à la fois anglais, persan, indostani, urdu, arabe, bengali, composent une symphonie babélique dont un autre Mezzofanti seul pourrait apprécier les mérites.

On voit maintenant quelle est l’organisation des forces militaires dans l’Inde anglaise. Ce que nous avons dit de l’armée de la compagnie et de l’armée de la reine dans le Bengale s’applique exactement