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nous l’adorons, nous la pénétrons, elle nous dit mille choses qu’elle ne leur disait pas. Voilà ce que je comprenais en présence de la campagne romaine ; alors je fermais Martial, et je relisais dans Chateaubriand la lettre à M. de Fontanes.

En présence de la campagne de Rome, que m’ont rappelée les vers de Martial, j’ai eu le bonheur d’oublier un moment Domitien. Cependant même cette charmante montagne d’Albano que je contemplais si délicieusement aurait pu évoquer son souvenir, car c’est à Albano qu’il avait institué des jeux annuels où figuraient et concouraient, singulier mélange ! des orateurs, des poètes et des gladiateurs. Stace triompha dans ces concours à côté d’un rétiaire armé de son trident, ou de quelque Germain qui venait d’étouffer un ours monstrueux. Néron en était encore à la sévérité classique, il séparait les genres ; Domitien les confondait et faisait figurer à la fois dans ses plaisirs les vers, l’éloquence et le sang. Il était le romantique de l’amphithéâtre.

Domitien avait en effet à Albano un amphithéâtre qui dépendait de sa villa. Les particuliers même eurent quelquefois des cirques dans leurs maisons de campagne. La villa de Domitien paraît s’être étendue sur la colline occupée aujourd’hui par le couvent des capucins, d’où l’on a une si ravissante vue de la campagne et de la mer. Ces capucins sont certainement de beaucoup plus honnêtes gens que les singuliers prêtres de Minerve, transformée par Domitien en Cybèle, qu’il avait établis à Albano. Ces prêtres efféminés se peignaient les sourcils, portaient des colliers, emprisonnaient, dans un réseau d’or leurs longs cheveux, et n’avaient de commun avec les capucins qu’une chose : ils ne permettaient pas aux femmes d’entrer dans leur couvent.

Albano était la résidence favorite de Domitien : il demandait au lac charmant un repos que les agitations de son âme violente et ténébreuse n’y pouvaient trouver. Quand, par un beau jour de printemps, on contemple le lac endormi dans une coupe de verdure et réfléchissant les gracieuses ondulations de ses bords, à la pensée de Domitien, on voit apparaître le bateau où Pline le Jeune nous le montre troublé du bruit des rames, dont chaque coup le fait tressaillir. Il fallait cesser de ramer et le remorquer. « Alors, dit Pline, immobile dans ce bateau muet, il semblait traîné comme à une expiation. »

Ce fut dans la Villa impériale d’Albano qu’eut lieu cette mémorable discussion si comiquement racontée par Juvénal, dans laquelle, sous la présidence de Domitien, opinèrent, sur le fameux turbot, les favoris d’un maître qui les faisait trembler :

In quorum facie miserae magnaeque sedebat
Pallor amicitiae…