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couteau de boucher que Virginius plonge dans le cœur de sa fille, les vingt-trois poignards dont les uns frappèrent le corps de César debout, les autres le cadavre de César tombé ; mais tant que la liberté subsiste, la grandeur se mêle à la férocité : quand la liberté n’est plus, la férocité paraît seule.

L’avènement de cette férocité sans grandeur s’annonce par l’assassinat des Gracques, elle se continue par les proscriptions plébéiennes de Marius et les proscriptions patriciennes de Sylla ; elle sera le génie de l’empire. Le premier empereur romain a commencé par se baigner dans le sang, le second s’y complaît, le troisième s’y vautre. La scandaleuse barbarie de Caligula, de Néron, de Domitien, n’a pu se produire que chez un peuple foncièrement cruel. Le pouvoir absolu permettait à cet instinct sanguinaire de se développer sans limites, et avec un excès dont nous nous étonnons plus que ne semblent s’en être étonnés les Romains eux-mêmes.

Chez un tel peuple, les amusemens aussi devaient être féroces, et dès les temps de la république les Romains se divertirent à voir combattre des hommes contre des hommes, ou des hommes contre des animaux. J’ai parlé, dans la première partie de ces études, des mosaïques du palais de Saint-Jean-de-Latran et de la villa Borghese, qui nous représentent dans toute leur hideuse vérité ceux qui étaient voués à ces ignobles combats[1] et ces combats mêmes. Quelquefois aussi on faisait combattre les animaux entre eux : c’était moins intéressant, mais cela avait son prix ; on voyait souffrir et mourir. Nous pouvons nous former une idée de ces luttes bestiales par un groupe expressif dont le sujet est un cheval dévoré par un lion, et qu’on a placé dans la cour du palais des Conservateurs. C’est probablement une scène de l’amphithéâtre d’après nature et rendue avec fidélité : le lion mord bien.

Quant aux gladiateurs, ils étaient de deux sortes. Les uns avaient embrassé librement ce métier. Ils étaient dressés dans des établissemens qu’on appelait, comme les écoles littéraires, ludi. Le professeur portait le nom de lanista, voisin de lanius, boucher, et de lanio, bourreau. C’est là qu’on préparait et, si j’ose ainsi dire, qu’on entraînait les futurs concurrens de l’arène. Une de ces écoles de gladiateurs était située sur le Cœlius, dans le voisinage de l’amphithéâtre. Une inscription qu’on a trouvée en ce lieu-là parle d’un médecin attaché à l’établissement. La santé d’hommes destinés à

  1. J’ai dit aussi qu’on y voyait la preuve que les combats de taureaux avaient une origine romaine. Ce qui achève de le démontrer, ce sont des épigrammes de Martial, qui les mentionne parmi d’autres divertissemens de l’amphithéâtre. On sait aussi que des cavaliers thessaliens poursuivaient des taureaux furieux dans l’arène, et finissaient par les atteindre et les abattre.