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entendre qu’une bonne moitié de sa fortune récompenserait la soumission de son bon neveu.

— Bonsoir ! dit Georges en jetant la lettre. Il souffla la bougie et s’endormit en pensant à Mme Rose.

Lorsque M. de Francalin se présenta le lendemain vers dix heures chez Mme Rose, elle n’y était déjà plus. Gertrude lui annonça qu’elle avait dû se rendre à Paris de grand matin ; elle ne savait pas à quelle heure sa maîtresse rentrerait.

— La lettre qui l’a fait partir l’a rendue bien triste, reprit Gertrude.

— Ah ! c’est une lettre ! dit Georges.

Ce seul mot réveilla en partie les doutes que Valentin avait excités déjà ; il se souvint de l’inconnu. Georges se promena devant la maison sans parler jusqu’à midi. Il craignait d’interroger la bonne femme, et à chaque instant il ouvrait la bouche pour le faire. Afin de ne pas succomber à la tentation, il s’éloigna. Tambour le suivait ; mais, habitué qu’il était aux rêveries de son maître, il ne se gênait pas pour courir un peu de tous côtés. Quelle était donc cette lettre mystérieuse qui appelait si précipitamment Mme Rose à Paris ? Quel lien l’attachait encore à un passé mystérieux dont elle subissait l’influence ? pourquoi n’en parlait-elle jamais ? pourquoi même évitait-elle avec une sorte d’attention inquiète tout ce qui pouvait en rappeler le souvenir ? N’était-elle donc pas sûre de l’ami qu’elle avait rencontré, et craignait-elle de s’ouvrir à un cœur qui lui appartenait tout entier ? Cette crainte ne l’autorisait-elle pas à croire qu’il y avait quelque fondement de vérité dans les soupçons émis par Valentin ? Georges se débattait vainement contre toutes ces réflexions ; elles le poursuivaient sans relâche, avec l’obstination de ces insectes qui assaillent un voyageur en été. Pour se délivrer de cette obsession tyrannique, il résolut de parler franchement à Mme Rose, et retourna à pas rapides vers Herblay. Elle n’y était pas encore arrivée. Il s’assit sur un banc à quelques pas de la maison et regarda devant lui. Il n’avait fallu qu’une minute pour changer en trouble la profonde quiétude où il vivait. Mme Rose s’était peut-être éloignée pour ne plus revenir. Maintenant il la croyait capable de toutes les fautes dont son esprit, la veille encore, aurait repoussé la pensée avec horreur. Cette existence retirée qu’elle menait dans un village écarté n’était certainement qu’une expiation, ou peut-être même qu’un entracte entre deux équipées. Par un de ces revirements subits dont les âmes passionnées connaissent l’empire, les mêmes choses qui hier lui faisaient croire à l’innocence de cette vie chastement abritée sous un toit modeste lui semblaient autant de preuves de la perfidie et de la corruption de Mme Rose ; il s’étonnait seulement de la place qu’elle pouvait tenir dans son cœur. Il avait été la dupe et le jouet d’une coquette ; comment