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subtilité de son esprit à rehausser l’importance de la dignité dont il était revêtu, en même temps aussi il déploya une souplesse, qui n’est jamais plus manifeste que lorsqu’il la dissimule, pour lier des relations utiles avec les principaux personnages du drame qui se déroulait autour de lui, et dont aucun incident, si frivole qu’il fût, n’échappait à sa pénétrante sagacité.

Une circonstance inattendue le servit à souhait dans cette double poursuite, et vint, en étendant le cercle, jusqu’alors fort restreint, de ses relations, lui offrir tout à coup l’occasion d’une lutte qui semblait pouvoir servir les intérêts de son ambition comme ceux de sa vanité. Le maréchal de Montmorency, créé duc de Piney-Luxembourg par suite de son mariage avec l’héritière de cette maison, prétendit un droit de préséance sur ses collègues, et l’obtint en faisant remonter sa pairie à la première érection du duché-pairie de Piney par Henri III. Cette érection, qui avait eu lieu en 1581, l’élevait du dernier rang, parmi les dix-huit pairs laïques, au second, puisqu’il ne rencontrait plus devant lui que le duché-pairie d’Uzès. Il est fort digne de remarque en effet que la pairie, transformée par l’imagination de Saint-Simon en institution fondamentale de la monarchie, était, à la fin du règne de Louis XIV, représentée par dix-huit ducs qui, en presque totalité, avaient reçu leur titre de la faveur royale dans les dernières années du XVIe siècle ou durant la première moitié du XVIIe.

Admis aux conférences de collègues qu’il connaissait à peine, le jeune duc saisit aux cheveux l’occasion, et ne tarda pas à les dépasser tous par l’ardeur de ses poursuites et de ses recherches aussi bien que par la fécondité merveilleuse de ses inventions procédurières. Il trouvait des ressources et des échappatoires que n’auraient pas levés les plus rusés procureurs ; il se fit érudit en même temps que légiste, et parla bientôt la langue de la chicane avec autant d’abondance qu’une plaideuse de Molière. M. de Luxembourg gagna son procès au parlement après des incidens multipliés. Cette grande affaire, dans laquelle Louis XIV paraît avoir conservé la réserve qu’il s’imposait toujours en matière judiciaire, ne servit guère que Saint-Simon. Elle fit de ce jeune homme le boute-en-train et plus tard le boute-feu de la pairie.

Quelque importance qu’un pareil résultat eût à ses yeux, il fut loin d’adoucir pour lui l’amertume de l’échec subi en commun. Ce n’est pas après les vingt-quatre heures données à tout plaideur pour maudire ses juges, ce fut après plus de quarante ans que Saint-Simon se vengea du premier président de Harlay en traçant le portrait de ce magistrat « d’une autorité pharisaïque, soutenu en tout par la cour, dont il était l’esclave ; homme sans honneur effectif, sans mœurs