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entrevoit trop distinctement la frivolité le disputant à la corruption, l’audace stimulée par l’ignorance. On sent que la France touche à des jours où la hardiesse des tentatives ne sera dépassée que par la honte des avortemens.

Lorsque le régent ouvrait l’oreille à tous les aventuriers de l’Europe, il ne pouvait la fermer au fidèle conseiller initié à tous les mystères de sa vie domestique, et qui venait d’être tout récemment le négociateur, sinon le plus influent, du moins le plus actif du mariage de la princesse sa fille avec le petit-fils de Louis XIV. Avant la mort du roi, Saint-Simon fut donc mis en mesure de choisir dans le nouveau gouvernement la position qui lui conviendrait et de faire prévaloir ses vues dans les conseils du duc d’Orléans. Le début de la régence fut en effet l’heure décisive de sa vie, le point culminant de sa carrière : c’est là que nous acquérons tout à coup une révélation d’impuissance qui ne nous éclaire pas moins sur son temps que sur lui-même, c’est là que nous sommes conduits à constater le désordre profond introduit jusque dans les consciences les plus honnêtes par la longue durée d’un pouvoir sans contrôle.

Une double tâche était dévolue au pouvoir nouveau : pourvoir à une crise financière issue de l’épuisement de la nation et d’une dette de près de 3 milliards contractée pour faire face aux périls de la guerre et pour solder les prodigalités de la paix ; instituer un gouvernement qui sût éviter les écueils contre lesquels s’était brisée la fortune de Louis XIV, à ce point que le miracle de la paix d’Utrecht avait pu seul conjurer la ruine de la monarchie. Invité à prendre la direction des finances à cause d’une probité devenue trop rare, Saint-Simon refusa ce témoignage de confiance, préférant à ces difficiles fonctions une place au conseil de régence, à côté du prince son ami. Il repoussa cette offre moins faute d’une spécialité qu’aucun homme qualifié ne possédait alors que parce qu’il ne se crut pas l’énergie nécessaire pour appliquer aux embarras financiers de la France le seul remède qu’il conseille avec autant d’ardeur que de persévérance.

La nature de ce moyen est si étrange, qu’il signale une perturbation visible dans les idées et la conscience publique, perturbation à laquelle ne se dérobent pas en certains momens les consciences les plus honnêtes, surtout dans le régime du silence et de l’asservissement de la pensée. La vue de tant de misères contraint Saint-Simon de remonter au fait qui les explique ; il en trouve la cause dans l’entraînement des passions du grand roi, odieusement stimulées par les calculs personnels de Louvois et les intérêts des courtisans. Cependant l’autorité monarchique inspire à Saint-Simon un tel respect, il entretient une suspicion si vive contre les états-généraux,