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mais, encore tout ahuri, forcé de régler sa vie d’après les roulemens du tambour, trouvera-t-il toujours un moment pour faire un repas non reconnu ? Si ce repas a son utilité, pourquoi ne pas le réglementer et lui donner sa place déterminée dans la distribution de la journée, par exemple à sept heures du matin ? Une soupe au café, un’ morceau de fromage ou un oignon, un peu de pain avec un verre de vin seraient suffisans.

Quand l’alimentation de l’homme n’est pas variée, sa santé s’altère vite : M. Magendie l’a démontré. Les marins que la durée d’un voyage au long cours réduit au biscuit et à la viande salée contractent aisément le scorbut, la fièvre typhoïde, quelquefois le typhus. Le soldat mange invariablement deux soupes par jour, du bœuf bouilli et des légumes dont la quantité varie selon le prix. Souvent, pour rompre cette monotonie, des hommes vendent du pain pour acheter des fruits ou du fromage. Cependant la ration de pain est calculée sur les besoins de l’économie, et la vente d’une partie de cette ration affaiblit le corps sans donner à l’alimentation une sérieuse variété. Ces deux soupes éternelles sont une des plus fortes raisons, — j’en ai acquis la certitude, — qui empêchent le soldat libéré de se réengager.

En 1847, la cherté des vivres a doublé le nombre des malades ; le cinquième des effectifs régimentaires était dans les hôpitaux et les infirmeries, 92 scorbutiques sont entrés au Val-de-Grâce, et quoique, les congés de convalescence fussent littéralement prodigués, le nombre des décès s’est élevé à 29 sur 1,000, au lieu de 14. Pendant cette même année, les corps d’élite, la garde municipale, les sapeurs-pompiers, qui pouvaient reporter sur leur nourriture une partie de leur haute-paie supplémentaire, ont échappé aux maladies qui sévissaient sur la troupe de ligne, réduite à la simple solde. De même en 1855 le scorbut a pris au camp de Saint-Omer des proportions assez graves pour nécessiter la présence d’un médecin inspecteur, et n’a cédé que devant des améliorations exceptionnelles dans le régime alimentaire. On a constaté en Algérie et en France que les soldats occupés à un travail manuel, au nivellement ou à l’empierrement des routes, étaient mieux portans : outre l’influence efficace et incontestable du travail physique sur la santé, le fait s’explique par la rétribution que les soldats recevaient pour ces travaux, et dont une partie profitait à l’alimentation.

On dit communément que le soldat est mieux nourri au régiment que dans sa famille : cela n’est pas d’une vérité aussi générale qu’on le pense. D’ailleurs ne faut-il pas que la somme de nourriture s’accorde avec la somme des forces dépensées ? Les ouvriers anglais qui ont commencé nos chemins de fer, et dont la vigueur infatigable