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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/918

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que l’on appelle corsaires. C’est à ce dernier abus que, sur l’initiative du premier plénipotentiaire de la France, le congrès de Paris a mis fin par ce premier article de la déclaration du 16 avril : « La course est et demeure abolie. »

Le brigandage de mer ou la piraterie paraît avoir été aussi ancien chez les Grecs que celui de terre a été chez les Arabes. Chacun de ces deux peuplés a poétisé le sien, jet parmi les héros classiques figuré plus d’un chef de forbans. L’idée de faire de ces piratés des auxiliaires utiles dans les guerres régulières, c’est-à-dire de les convertir en ce que nous appelons corsaires, n’est pas moderne. On voit par un assez curieux passage de Démosthène, dans le fameux discours de la Couronne, que les Athéniens en employèrent dans leurs guerres contre Philippe. Les modernes non-seulement les ont lancés contre des ennemis déclarés, mais jusque dans le xviie siècle on trouve des exemples de lettres de marque données en pleine paix, pour exercer des représailles propres à établir la compensation de certains griefs dont on n’avait pas pu obtenir la réparation par la voie des négociations, et que l’on ne trouvait cependant pas assez gravés pour motiver une déclaration de guerre ouverte. Ces lettres de marque étaient le titre légal de l’armateur, celui qui établissait sa position auprès de son gouvernement, et qui préservait les corsaires d’être traités en pirates par l’ennemi, s’ils venaient à tomber entre ses mains.

Les captures maritimes devaient singulièrement se multiplier sous l’empire de pareils principes. Aussi la manière dont doit être exercée là saisie de la propriété ennemie avait soulevé plusieurs questions importantes et célèbres dans l’histoire de la diplomatie, celle-ci d’abord : — Un navire ennemi peut-il être légalement capturé partout où on le trouve ? Non, sans doute, car il est évident qu’il ne peut l’être dans des eaux soumises à la domination d’une puissance neutre ; mais jusqu’où s’étend cette domination ? Cette seconde question fut le texte d’une controverse célèbre où figurent en première ligne les noms de Grotius et de Selden. Le premier, dans un petit livre portant pour titre Mare liberum, soutint que la mer, commune à toutes les nations, n’était pas susceptible d’appropriation particulière ; le second, dans un ouvrage subtil, mais très pédantesque, intitulé Mare clausum, chercha à faire prévaloir le principe contraire au profit de l’Angleterre, à laquelle, en digne Breton, il attribuait généreusement la domination des mers qui baignent ses côtes jusqu’aux rivages opposés[1]. Des prétentions analogues ou peu différentes furent mises en avant par les Génois pour la mer de Ligurie, par les Vénitiens

  1. Selden, le grand adversaire de la liberté des mers, avait, par un contraste qui m’a paru assez piquant, adopté pour devise cette maxime grecque : Περὶ παντὸς τὴν ἐλευθεοίαν (Peri pantos tên eleutheoian), la liberté par-dessus tout.