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des Gaules, séparé de sa métropole par un étroit bras de mer, comme le diocèse d’Espagne par la chaîne des Pyrénées, gardait avec le continent voisin des relations plus étroites fondées sur la confraternité des races et la ressemblance des idiomes, de sorte que tout mouvement qui éclatait en Gaule se propageait aussitôt en Bretagne ; à charge de réciprocité. La turbulence des nations bretonnes était alors célèbre en Occident, Pendant le siècle qui venait de s’écouler, on les avait vues disputer aux Gaulois le triste privilège de se révolter périodiquement, et d’embarrasser le gouvernement romain par la création de ces empereurs tumultuaires qu’en langage politique on nommait tyrans. Une certaine licence habituelle aux garnisons de la Bretagne, que leur isolement aux confins de l’Occident rendait très difficiles à surveiller, et le relâchement de la vigilance administrative, dû à la même cause, favorisaient merveilleusement la disposition naturelle des insulaires, bourgeois et soldats s’excitaient, se secondaient à qui mieux mieux, et une idée de révolte avait toujours chance de réussir, qu’elle partît d’une ville ou d’un camp.

Le motif ou le prétexte ordinaire des provinciaux dans leurs rébellions contre le gouvernement romain était sa partialité, vraie ou fausse, pour l’Italie, car les provinces se prétendaient toujours sacrifiées aux intérêts de la vieille métropole de l’empire, surtout quand l’Italie possédait le siège de l’administration impériale. Dans la circonstance présente, l’accusation banale était devenue un fait malheureusement trop réel. Un concert de malédictions s’éleva donc contre Honorius et son tuteur dans tout l’extrême Occident, et plus avaient été grands les services rendus par les légions gauloises à Fésules et à Polientia, plus les regrets étaient amers, plus la Gaule était en droit de se plaindre qu’on l’eût volontairement sacrifiée. L’origine de Stilicom, fils d’un père vandale, venait donner aux accusations une singulière gravité, toute personnelle au ministre. Comme les Vandales figuraient au premier rang des envahisseurs de la Gaule, on ne manqua pas de dire que l’invasion était son ouvrage ; qu’il l’avait conçue, méditée, préparée, en dégarnissant la frontière du Rhin, tandis qu’il excitait les Barbares ses frères à prendre les armes ; que pour prix de cette trahison ceux-ci devaient le placer, lui ou son fils Eucher, sur le trône impérial, après en avoir renversé Honorius. Le marché était conclu, le gage livré, et après la Gaule ce serait le tour de la Bretagne et de l’Espagne. Ces absurdes calomnies ne se répétaient pas seulement en Gaule, où la vivacité des souffrances justifiait en quelque façon l’exagération des plaintes ; elles avaient cours en Italie, où les ennemis du ministre s’en faisaient une arme pour le perdre, et on entendait répéter, comme une vérité, dans la lâche cour de Ravenne, que le sauveur de Rome avait livré l’empire aux Vandales.