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L’ancien disciple de saint Martin, devenu de moine soldat et conquérant au rebours de son maître, n’avait pas, malgré tant de succès, l’âme pleinement satisfaite. Il lui fallait encore montrer sa gloire à la Gaule qui peut-être en avait douté, entrer dans Arles triomphalement, passer sous les portes monumentales et traîner lui-même aux pieds de l’empereur ses deux captifs chargés de chaînes ; tel était le rêve de son orgueil. Il reçut donc avec joie l’ordre de partir pour la Gaule, où son père avait à l’entretenir d’affaires importantes, et mit à son départ une telle précipitation, qu’il n’emmena point sa femme, laquelle, nous dit un vieil auteur, resta au palais de Saragosse avec tout l’attirail de la dignité impériale. L’histoire nous a envié le récit des pompes qui accompagnèrent la réception du césar dans la métropole de l’empire gaulois ; mais elle dépassait, à ce qu’il paraît, tout ce qu’il avait lui-même désiré. Son père, au milieu des acclamations publiques, lui plaça sur le front le diadème des augustes, se l’associant pour collègue dans la plénitude du pouvoir souverain. Quant aux deux Espagnols, Constantin les fit conduire en prison et mettre sous bonne garde jusqu’à ce que certains événemens dont nous allons rendre compte eussent décidé s’ils devaient vivre ou mourir. Le tyran des Gaules voyait en effet dans ces parens d’Honorius, dans ces neveux du grand Théodose, tombés vivans entre ses mains, un nouvel instrument de fortune, des otages précieux dont la conservation ou la perte devait servir à de nouveaux projets d’ambition : c’était là l’affaire pressante pour laquelle il avait mandé son fils. Pour bien faire comprendre les projets du tyran des Gaules et cette nouvelle fortune à laquelle il aspirait, j’ai besoin de donner quelques explications théoriques sur la nature même et sur les conditions nécessaires du pouvoir, impérial d’après la constitution romaine.

D’après le droit politique romain, l’empire était un ; ses divisions, ses partages n’étaient pas autre chose que des séparations administratives, des limites de juridiction établies pour les besoins du gouvernement. Quels qu’en fussent le nom et le nombre, on n’y voyait point un morcellement de territoire, et l’intégrité du monde romain ne s’en trouvait point affectée. Tel était le principe fondamental de la constitution, qui ne périt qu’avec elle.

De même que l’empire, la puissance qui le gouvernait était une, quels que fussent le nombre et les titres des gouvernans ; qu’il y eût un auguste, ou deux, ou trois, ou bien deux augustes et deux césars, comme dans la tétrarchie de Dioclétien, peu importait. Les gouvernans, césar ou auguste, ne faisaient qu’exercer en commun un pouvoir unique, chacun dans la sphère que la volonté de tous lui assignait : le césar avec une action limitée, l’auguste avec la plénitude de l’autorité souveraine, l’un et l’autre sur les territoires qui