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par un amour passager, qui aura déposé au fond de son âme quelques souvenirs voilés qu’elle pourra évoquer dans les jours d’ennui sans se compromettre aux yeux du monde, la voilà en pleine possession de tous les avantages de la vie, tandis que moi, pauvre insensé, qui avais pris au sérieux une fantaisie de gentildonna, je suis condamné peut-être à passer mes jours dans une prison d’état ! Ah ! que n’ai-je suivi les conseils de l’abbé Zamaria ! Le culte de l’art m’aurait guéri d’une passion funeste qui empoisonnera toute mon existence.

Dans les premiers jours du mois de mars, le geôlier Girolamo, dont les prévenances pour le chevalier Sarti devenaient de plus en plus délicates, entra dans sa cellule avec un vase rempli de branches de lilas. — Je vous apporte, lui dit-il d’un air tout joyeux, les prémices du printemps. Je sais par une longue expérience que la vue des fleurs produit toujours une impression agréable sur les prisonniers, et comme je tiens à ce que vous soyez content de mes petits services, j’ai fait venir de Murano ces premières pousses de lilas dont l’odeur parfumera votre chambrette. Dame ! monsieur le chevalier, on n’a pas de ces attentions-là pour tout le monde.

Tout en remerciant Girolamo de sa bonne volonté, le chevalier ne parut pas étonné qu’on eût de pareils soins pour un détenu sans appui et sans nom. Sans expérience de la vie, et l’imagination frappée du lâche abandon dont il se croyait l’objet, Lorenzo était resté presque insensible à ces témoignages réitérés d’un cœur compatissant qui cherchait à lui alléger le poids de la solitude. Il ne s’était pas demandé une seule fois, dans son aveuglement, quelle main pieuse et discrète avait pu introduire dans une prison aussi rigoureuse des livres si bien choisis pour les besoins de son esprit et tant de douceurs incompatibles avec le régime de ces lieux sinistres. Cette riche robe de chambre dans laquelle il était enveloppé, ce linge blanc qui recouvrait son grabat, ces fleurs qui répandaient dans sa cellule un parfum d’espérance et de liberté, ne parlaient-ils pas assez clairement ? Le hasard est-il donc si intelligent, qu’on puisse lui attribuer les effets d’une âme miséricordieuse ? Un peu désappointé de l’inutilité de ses efforts pour distraire son prisonnier, qu’il voyait toujours plongé dans une morne tristesse, Girolamo, en se retirant, dit à Lorenzo avec un accent tout particulier : — S’il y a des anges en paradis, monsieur le chevalier, il y a sur la terre des femmes qui leur ressemblent.

En effet c’était l’âme de Beata qui avait opéré ces miracles ; c’était elle qui, avec le concours du chevalier Grimani, constamment généreux, et par le crédit de sa propre famille, avait obtenu d’adoucir la captivité de Lorenzo, et de faire pénétrer dans ces tristes lieux un rayon de sa pieuse sollicitude. Ce n’était plus cette femme timide