Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pilier, s’était précipité sur le livre de prières que Beata avait laissé tomber à terre dans un moment de contrition.

Une après-midi où elle se sentait plus désolée qu’elle ne l’avait jamais été, parce que depuis plusieurs jours elle n’avait pu pénétrer chez le geôlier Girolamo, dont la conduite commençait à éveiller les soupçons des inquisiteurs d’état, Beata se rendit à l’église San-Geminiano. On était dans le mois d’avril, et rien ne laissait espérer à Beata la délivrance possible du chevalier Sarti. Il devait y avoir ce jour-là à San-Geminiano je ne sais plus quelle cérémonie à laquelle devaient prendre part plusieurs jeunes élèves des scuole de Venise. Beata, qui était connue du maître de chapelle et du plus grand nombre des jeunes personnes qu’il avait sous sa direction, monta à la cantoria, tribune grillée qui se trouvait derrière le maître-autel. Un orgue de petites dimensions était placé en avant de la tribune, qu’il divisait ainsi en deux compartimens, dont chacun était occupé par un chœur de voix virginales. Après quelques préludes sur l’orgue exécutés par le maître de chapelle, auprès de qui Beata était assise ayant à ses côtés sa camériste, les jeunes filles commencèrent à chanter des litanies de Lotti, célèbre compositeur de l’école de Venise dont les cendres reposaient dans l’église même de San-Geminiano. Chacun de ces chœurs, à deux parties et sans accompagnement, disait une strophe que l’autre reprenait ensuite avec la même onction pénétrante, et puis les deux groupes confondaient leurs accens isolés dans un ensemble harmonieux. Ces pieuses lamentations, d’une harmonie aussi pure que les voix qui les murmuraient, ces doux accords qui se dilataient lentement et répandaient dans le vaisseau de l’église une sonorité mystérieuse si bien appropriée au sens des paroles liturgiques, cette poésie de la prière qui remonte au berceau du genre humain et qui résume en quelques mots accessibles à tous les plus grandes vérités de l’ordre moral, produisirent sur Beata une impression profonde et décisive. Son cœur s’entr’ouvrit, comme si une secousse violente en eût brisé les ressorts et qu’un rayon de miséricorde en eût éclairé les replis les plus cachés. Elle tomba à genoux presque machinalement, et un déluge de larmes vint inonder son visage, fatigué par les angoisses. Saisie tout à coup d’un besoin d’expansion et de prière plus fort que sa volonté, ce qui est bien le signe de la vraie douleur, Beata, sans proférer un mot et comme dominée par l’émotion qui remplissait son âme, fit signe au maître de chapelle de se lever de son siège et se mit à sa place. C’était pendant un de ces momens de silence où le chœur se taisait pour laisser aux fidèles quelques minutes de recueillement. Beata promena hardiment ses doigts sur l’un des claviers du petit orgue, et en tira une succession d’accords dont elle n’avait pas trop conscience, mais qui répondaient à ces divins murmures du sentiment,