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y a lieu de gémir lorsque la société est atteinte de ces terribles fléaux. C’est là une observation que j’aurai trop souvent à reproduire pour ne pas la faire dès le début. À chaque instant et pour les questions les plus fondamentales, l’auteur de l’Essai sur l’inégalité des races humaines, entraîné par sa plume, émet les opinions les plus absolues, qu’il amende quelques pages plus loin. Parfois là correction va jusqu’à la contradiction : de là résulte pour le lecteur une incertitude fatigante, et souvent une difficulté réelle à bien comprendre le fond de la doctrine même.

Les élémens de désorganisation signalés tout à l’heure ne sont redoutables, selon M. de Gobineau, que lorsqu’ils atteignent un peuple dégénéré. Cette expression a ici un sens tout spécial. Pour l’auteur, une population dégénère toutes les fois qu’elle porte atteinte à la pureté de son sang par le croisement avec une autre race. Plus les mélanges sont multipliés, plus la dégénérescence fait de progrès, et quand le nombre des croisemens dépasse certaines limites, la société ne peut plus se maintenir. Ici se montre la pensée fondamentale du livre. Dans la doctrine dont il renferme l’exposé théorique et l’application, la naissance, l’état stationnaire ou progressif, la grandeur ou la décadence, en un mot tous les phénomènes moraux, intellectuels ou physiques d’une tribu comme d’une nation sont uniquement des questions de race.

Lorsqu’un écrivain fait reposer tout un ensemble d’idées sur un mot, on doit s’attendre à ce qu’il précise exactement le sens de ce seul mot. M. de Gobineau ne l’a pas fait, et c’est un grand reproche à lui adresser. Il admet l’unité de l’espèce humaine, tout en déclarant que nous ne connaissons pas l’homme primitif, et sur ces deux points nous sommes entièrement de son avis. Il admet l’existence de trois races fondamentales, la blanche, la jaune et la noire ; ici encore nous partageons son opinion. Ces trois races, dans leurs représentai les plus caractérisés, sont en effet les extrêmes de ces mille nuances qui servent d’intermédiaires entre les populations les plus éloignées ; elles peuvent donc être regardées comme autant de types autour desquels se groupent les races secondaires ; mais pour lui ces races ont quelque chose de tellement absolu, de tellement radical, qu’elles redeviennent de véritables espèces, dans le sens que les naturalistes donnent à ce mot. Partout, à chaque instant, M. de Gobineau combat à outrance l’idée qu’un milieu extérieur quelconque puisse influer en quoi que ce soit sur une population. Pour lui, tout est dans le sang. D’une race à l’autre, le sang diffère comme l’eau différé de l’alcool ; on peut les mélanger, mais les transformer, jamais : le croisement seul a produit toutes les différences ethniques constatées dans l’espèce humaine.