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Toutefois, sans admettre en entier les idées de M. de Gobineau sur la fusion complète des races et la formation d’une population commune à la terre entière, M. Maury présume que cette population, possédant un même développement d’intelligence, accomplira partout ce qui aura été accompli quelque part. Je ne crois à rien de semblable. Les inégalités les plus choquantes disparaîtront, les caractères trop disparates s’effaceront, je n’en doute pas : les races inférieures se relèveront ou périront sans que leurs initiateurs aient pour cela à s’abaisser ; mais l’unité, l’uniformité, sous quelque forme que ce soit, ne sera jamais le résultat de cette action. L’influence des milieux maintiendra toujours dans notre espèce une certaine variété. Tant que la terre aura un équateur et des pôles, un ancien et un nouveau continent, une Europe et une Australie, il existera des races humaines physiquement différentes et distinctes de caractère et d’instincts, comme elles le seront par leurs besoins.

Nous assistons au début d’une crise à la fois physique et morale, qui s’étendra tôt ou tard à tout le genre humain. Sous l’action des influences extérieures et du croisement opéré sur une immense échelle, nous voyons déjà poindre des races nouvelles. Celles-ci se caractériseront avec le temps, et il se produira quelque chose d’analogue à ce qui s’est passé à l’aurore des sociétés antiques, quand avaient lieu les grandes migrations dont l’histoire a conservé la tradition. Seulement aujourd’hui les élémens sont tout autres, et si le résultat général peut être prévu, nul ne saurait soupçonner encore ce que sera la nouvelle humanité résultant de la fusion des peuples modernes. De toutes les questions que provoque cet avenir, une seule me semble pouvoir être posée. Ces races futures seront-elles jamais vraiment égales, et tout en accomplissant leurs évolutions spéciales, atteindront-elles un même niveau ? Il est au moins permis d’en douter. L’égalité n’est guère de ce monde ; on ne la voit pas dans nos familles, qui comptent à peine quelques individus, tous soumis à des conditions d’existence presque rigoureusement identiques. Comment s’établirait-elle entre les groupes humains placés dans des milieux si peu semblables ? L’inégalité de ces groupes est un fait qui me semble devoir durer tout autant que l’homme lui-même, et qui n’a d’ailleurs rien de bien affligeant en soi. Qu’importe que telle race soit inférieure, telle autre supérieure ? L’essentiel est que toutes s’élèvent et s’améliorent dans leurs voies propres. Par cela seul, l’espèce aura été perfectionnée, l’humanité aura grandi.


A. DE QUATREFAGES.