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d’une immense influence, envahit la propriété du sol et la juridiction civile, de sorte qu’après le premier combat qui doit subjuguer la féodalité à l’aide de l’église, il faudra quelque jour en livrer un autre pour reconquérir sur l’église même sa puissance temporelle, désormais plus nuisible qu’utile. Mais combien ce spectacle séculaire est là plus vif qu’ailleurs, plus varié dans ses péripéties, plus abondant dans ses résultats ! Que d’énergie universelle et en tout sens, dans la Toscane surtout, aujourd’hui si molle, alors si robuste et si passionnée, dans cette belle Florence, la plus italienne des républiques d’Italie, et qui, par sa situation, semblait particulièrement prédestinée à porter la gloire et la grandeur politique de la nation ! Agricole et manufacturière, Florence n’avait point, comme le remarque Sismondi, ces grands intérêts commerciaux au dehors qui séparaient jusqu’à un certain point Venise et Gênes de la vie intérieure du pays, et affaiblissaient en elles le sentiment de la patrie commune. Elle semblait devoir absorber, par la force de son esprit et l’ardeur de ses résolutions, toutes les communes et principautés isolées qui étaient sorties de la même impulsion originaire, et elle l’essaya en effet. Dans toute son histoire antérieure aux Médicis, on voit comme une race à part, avec un caractère spécial d’énergie et de solide intelligence qui rappelle l’ancienne Rome ; dans ses révolutions comme dans ses écrivains et ses artistes, on croit sentir toujours cette vigueur étrusque, qui est restée empreinte et éternisée dans le génie de Dante, de Michel-Ange et de Machiavel. Avant 1215, elle avait déjà détruit en partie ces châteaux fortifiés sur les hauteurs, d’où les seigneurs descendaient pour piller la plaine et rançonner voyageurs et marchands. Montebuoni, Monte di Croce, Monte Orlandi, Monte Cacciolli et bien d’autres avaient été rasés. Forcés de se faire citoyens, les nobles avaient apporté dans la ville leurs habitudes indomptables ; ils y rebâtissaient d’autres forteresses, d’autres donjons énormes, d’où ils se lançaient des flèches par dessus les toits, de rue à rue ; toute rixe devenait bataille, parce que, selon la vieille coutume barbare, les familles étaient solidaires pour chacun de leurs membres et devaient embrasser leurs querelles. Ainsi les guerres privées, la faida germanique, prenaient droit de cité et n’avaient fait que changer de théâtre. De là tant d’efforts, tant d’essais de constitutions pour arriver à obtenir un peu de justice dans les tribunaux et d’ordre dans l’administration. En dépit des mesures acerbes par lesquelles on se persécutait de part et d’autre, ce peuple n’eut cependant jamais cette jalousie envieuse qu’on attribue aux démocraties, et qui se déclare bien plutôt entre les aristocraties d’origine différente ou de divers degrés. Dans ses essais législatifs, il cherchait toujours la conciliation quand elle était possible.