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pas excellent ni facile à comprendre, le système philosophique, de l’auteur est compliqué et prétend accorder Hippocrate, Aristote et Platon, tout en admettant, sur la nature de l’âme principalement, un matérialisme peu dissimulé. Les attaques contre les sectes qui divisaient alors les écoles de médecine sont nombreuses et souvent obscures, car l’amour de la vérité ne domine pas toujours seul. Si la science de l’auteur est infinie, si ses idées générales sont étendues, si les sujets qu’il traite sont nombreux, sa connaissance de l’anatomie est imparfaite, et quand il parle d’un organe, il dit rarement où et comment il l’a observé, de sorte qu’on ne sait s’il s’agit de l’homme, du singe ou d’un autre mammifère supérieur, et que l’on peut confondre l’obscurité avec l’ignorance. Enfin les éditions variées et les commentaires des érudits de la renaissance ne peuvent éclairer tous ces points délicats, car l’impartialité est d’une origine très moderne, et les érudits d’autrefois étaient les plus passionnés de tous les hommes. Toutes ces difficultés diverses, M. Daremberg est habitué à les vaincre. Ses traductions d’Hippocrate, d’Oribase et de Rufus d’Éphèse ont démontrée et perfectionné son habileté dans l’art de traduire et de rendre clair en français ce qui est souvent obscur en grec, sa connaissance de l’état des sciences dans l’antiquité et de l’histoire des théories. Il pourrait dire, comme Galien : « J’ai démontré dans des leçons publiques et particulières… que je n’étais inférieur à personne, pour ne pas dire plus, dans la connaissance de toutes les sectes. » Galien en effet n’est pas seulement un praticien habile et le médecin éclairé de Marc-Aurèle et de Lucius Verus, il est surtout un critique et un philosophe. Dans le plus étendu des traités que publie M. Daremberg, de l’Utilité des parties du corps, la description scientifique n’intervient que pour appuyer un système de philosophie, ou, comme on dit aujourd’hui, de téléologie. C’est un exposé de l’anatomie du temps appliquée à la démonstration de la dangereuse théorie des causes finales. Le but de l’ouvrage est de prouver la vérité de ce principe d’Aristote : la nature ne fait rien en vain, principe qui paraît assez raisonnable, mais dont la preuve est difficile, tellement que la plupart des raisons alléguées par Galien ont été successivement ébranlées par les progrès de la science, et qu’aucune peut-être ne reste entière aujourd’hui. Les assertions plus récentes même ne reposent pas toujours sur des réalités incontestables, tant l’accord est difficile entre la métaphysique et l’expérience.

Les deux premiers volumes de la traduction de Galien ont seuls paru jusqu’ici à deux ans de distance, et M. Daremberg fait espérer que la publication sera terminée dans le courant de l’année 1857. Les deux volumes que nous attendons contiendront, l’un la vie de Galien et une introduction sur sa philosophie et ses doctrines médicales, l’autre quelques ouvrages de l’auteur, tels que le Traité du Pouls et les commentaires sur les livres chirurgicaux d’Hippocrate, sur les opinions d’Hippocrate et de Platon, etc. On aura ainsi tous les élémens d’une étude sur la médecine depuis Hippocrate jusqu’à Galien, et ce sera aussi le moment de tenter une exposition un peu étendue des doctrines de ce dernier comme de ses adversaires. paul de rémusat.


V. de Mars.