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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/25

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de sujets historiques, une tâche fort différente à tous égards, — la décoration de l’église de la Madeleine, — occupait déjà sa pensée. Il avait accepté ce grand travail vers la fin de l’année précédente (1833). De la part d’un artiste accoutumé aux succès populaires, et dont le crédit était bien assuré dans un certain ordre de peinture, il y avait sans doute du courage à tenter ainsi une entreprise contraire à toutes les habitudes de son talent. Jusque-là, M. Delaroche ne s’était pas, à vrai dire, essayé dans la peinture religieuse. Deux tableaux faits au commencement de sa carrière, — une Piété, destinée à la chapelle du Palais-Royal, et un Saint Sébastien, — ne pouvaient sous aucun rapport passer pour des épreuves suffisantes[1]. Personne ne le sentait mieux que lui, et lorsqu’il se résolut à entreprendre les peintures de la Madeleine, ce ne fut pas du moins sans avoir bien apprécié les conditions toutes nouvelles qui lui étaient faites et le péril auquel il s’exposait. « Je vous avoue, écrivait-il à l’un de ses amis, qu’à première vue la proposition m’a fait peur. J’ai si bien compris ce qui me manquait pour accomplir une pareille tâche, que je me suis laissé aller d’abord à la tentation de la refuser. Tout bien considéré pourtant, j’ai changé d’avis. Je suis peintre : je dois à l’art et je me dois à moi-même de ne reculer devant aucun effort. J’irai faire mon noviciat en Italie, et quand je me sentirai bien approvisionné, je reviendrai me mettre à l’œuvre… » M. Delaroche toutefois n’allait chercher à Florence et à Rome que des leçons techniques, des modèles de style et non des patrons d’idées. Pour plus de sûreté et comme pour se prémunir contre les dangers d’une influence trop directe sur sa propre imagination, il avait voulu avant son départ arrêter toutes ses compositions, les essayer sur les murs de l’église et se fixer à lui-même les termes généraux du programme dont il modifierait ensuite les détails suivant les exemples des maîtres. Heureux ceux qui savent se défier ainsi de l’autorité des chefs-d’œuvre et garder un fonds d’indépendance là où il est si facile de se laisser absolument asservir ! Rien de plus rare en pareil cas qu’une admiration prudente, rien de plus chanceux, même pour les peintres les mieux doués, que l’étude de l’art italien, quand cette étude n’a pas pour objet précis le développement d’un sentiment personnel. Or comment s’écouter fort attentivement soi-même en face de ces créations incomparables qui, comme la Cène, les Stanze ou la Chapelle Sixtine, sont le dernier mot de l’art et l’effort suprême du génie humain ? Les plus fiers à coup sûr s’humilieront devant elles ; les plus sages peut-être se tourneront vers des modèles moins parfaits

  1. Il faudrait mentionner aussi la sainte Amélie, si ce tableau n’appartenait, par son style et le caractère de l’exécution, à la classe des œuvres de genre plutôt qu’à la classe des tableaux religieux.