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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/27

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la direction des Beaux-Arts que subir certaines conditions qui auraient mutilé son œuvre[1]. À plus forte raison, lorsqu’il méditait une œuvre bien autrement importante, un ensemble de compositions se déduisant les unes des autres et reliées entre elles par l’homogénéité du style, ne pouvait-il se laisser ravir en silence ce qu’il regardait comme une part de son domaine. Ajoutons qu’à cette époque M. Delaroche n’avait aucune fortune, qu’en abandonnant la somme reçue, il se dépouillait, après tout, du fruit de son travail, et que, pour affranchir ainsi son talent, il compromettait dans l’avenir ses ressources matérielles : sacrifice d’autant plus grand que son récent mariage lui imposait de nouveaux devoirs sur ce point et une responsabilité nouvelle[2]. Ceux qui, fort injustement d’ailleurs, seraient tentés d’accuser ici les susceptibilités de son amour-propre ne refuseront pas au moins d’honorer son désintéressement.

Le voyage d’Italie, que M. Delaroche avait entrepris en vue d’une œuvre spéciale, n’eut donc d’autre résultat que de laisser l’artiste mieux préparé aux tâches qui pourraient survenir. Celles qui lui furent offertes d’abord ne lui permettaient guère de mettre en relief les qualités qu’il avait acquises au-delà des monts. Charles Ier insulté par les soldats de Cromwell et Strafford marchant au supplice n’avaient et ne pouvaient avoir qu’un mérite analogue au mérite des tableaux précédens. M. Delaroche eût été mal venu à se souvenir, en face de pareils sujets, des études qu’il faisait peu auparavant en Italie, et il lui fallait attendre, pour tirer parti de son expérience nouvelle, qu’une occasion s’offrît où il eût à reproduire non plus un fait simplement historique, mais une scène d’un caractère idéal. L’Hémicycle du palais des Beaux-Arts, qu’il fut chargé de peindre en 1837, lui fournit enfin cette occasion d’essayer ses forces sur un vaste champ et dans un ouvrage tout d’invention. On sait le succès de l’entreprise : les résultats d’ailleurs en ont été appréciés ici même avec une pleine autorité[3], et nous ne reviendrons pas sur un sujet si parfaitement épuisé. Qu’il nous soit permis seulement de rappeler les efforts faits par M. Delaroche pour mener à bonne fin ce grand travail et d’indiquer, à propos de l’Hémicycle, quelque chose de

  1. ) Il s’agissait alors d’un plafond pour l’une des salles du musée Charles X. Le sujet était Jacques II recueilli à Saint-Germain par Louis XIV. M. Delaroche, pour compléter le sens de sa composition, l’avait entourée de figures allégoriques en relief dont on exigea la suppression non-seulement avec une insistance peu éclairée, mais avec menace de ne plus employer à l’avenir l’artiste, s’il refusait d’obéir. M. Delaroche abandonna le travail, acceptant sans hésiter la disgrâce qui devait punir son refus.
  2. M. Delaroche avait épousé à Rome, au commencement de 1885, Mlle Louise Vernet, qui devait si noblement porter le poids de deux noms célèbres et laisser, après sa trop courte vie, tant de regrets et de pieux souvenirs.
  3. Voyez, dans la livraison du 15 décembre 1841, la Salle des Prix à l’École des Beaux-Arts, par M. Vitet.