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en compagnie d’un chien paria avec lequel il entretenait des relations d’intimité. Jamais on ne le vit rire ou on ne l’entendit parler. Il mourut presque subitement après avoir avalé une grande quantité d’eau.

Il est temps de quitter l’homme sauvage, et, après cette longue digression, de revenir aux diverses curiosités que le palais de sa majesté d’Oude offre au voyageur. La transition ne demande au reste que peu de préparations oratoires, car le potentat indien, qui aime beaucoup les bêtes à l’instar de Shahabaham, — Shahabaham, le plus vrai de tous les caractères qui soit jamais sorti de la plume de ce fertile et charmant auteur, M. Scribe, — le roi de Lucknow, dis-je, entretient une oiselerie avec une collection magnifique de perroquets, une fauconnerie dont les veneurs improvisent fort obligeamment, moyennant backchich, au profit du visiteur européen, une chasse au pigeon ou au héron, et enfin une ménagerie de daims au milieu desquels se trouvent des antilopes et des boucs dressés au combat. Deux mots seulement de ce plaisir assez puéril de la royauté indienne. À peine en présence, comme de galans paladins, les deux boucs se précipitent l’un sur l’autre, et leurs têtes baissées s’entrechoquent avec un bruit tel que l’on s’étonne de n’en pas voir sortir immédiatement ce que la nature y a mis en guise de cervelle. Beaucoup plus gracieux est le combat des antilopes. Ces jolies bêtes aux formes élégantes enlacent immédiatement leurs cornes allongées, et luttent avec une énergie, une souplesse, des bonds capricieux, des ruses de guerre, qui feraient honneur à des athlètes accomplis.

Si chaque roi d’Oude, à son avènement, prend soin de se faire bâtir un nouveau palais, l’usage veut que les cérémonies du couronnement soient accomplies dans un édifice spécial où se trouve une salle du trône théâtre de bien des tragédies. Les murs portent encore les traces du combat que l’autorité anglaise fut obligée de livrer en 1839 pour empêcher une rannee ambitieuse de mettre la couronne sur la tête de son fils favori, à l’exclusion de l’héritier légitime, le roi actuel. Le trône, tout entier d’argent, incrusté de pierres précieuses, est un assez respectable morceau d’orfèvrerie autour duquel veille une collection de sentinelles de la tournure la plus prodigieuse. Les costumes débraillés du carnaval de Paris ne peuvent donner une idée du délabrement de l’uniforme des soldats du roi d’Oude. Des shakos tromblons au fond avarié, des plumets impossibles, des vestes rouges sans manches, et, en manière de compensation, des manches rouges sans veste, des pantalons couverts d’arabesques de toutes couleurs, et qui offrent souvent les plus déplorables lacunes, — ce n’est là vraiment qu’un crayon imparfait de ces fantastiques militaires auprès desquels les mendians espagnols les plus déguenillés