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au milieu de la solitude d’une des plus vastes salles du monde. Le tombeau de Naseer-ul-Dowlah, père du dernier souverain, d’Oude, est un monument beaucoup plus coquet, et dont l’entretien, chose rare dans l’Inde, ne laisse rien à désirer. Un portique monumental, surmonté de minarets, conduit le visiteur dans un jardin de l’aspect le plus riant, tout garni de jets d’eau, de fleurs, de statues. À droite et à gauche au milieu du mur d’enceinte s’élèvent des monumens qui reproduisent en petit les formes du Tarje d’Agra, et en fond de tableau la mosquée sépulcrale avec ses murs d’une éclatante blancheur et son toit hérissé de clochetons élégans aux dômes dorés. Dans la grande salle, autour du tombeau, un caprice royal a rassemblé une bizarre collection de bric-à-brac, où l’on remarque en première ligne les systèmes d’éclairage les plus divers : le simple quinquet, la lampe Carcel, des lustres à girandoles, des chandeliers titans de cristal armés de globes de toutes couleurs, jaunes, verts, violets, rouges. Viennent ensuite d’assez curieuses pièces d’argenterie représentant des femmes à queue de paon, un satyre en uniforme classique, deux tigres d’émail vert presque de grandeur naturelle, et sur la muraille, au milieu de faisceaux de sabres rouilles et de pistolets hors de service, des tableaux mécaniques représentant un chemin de fer ou un bateau à vapeur sur une mer agitée. Ce singulier capharnaüm est situé à l’une des extrémités de la ville, et en revenant à la résidence, nous aurons occasion de saisir au passage quelques traits particuliers de cette cité et de cette population vraiment orientales.

Lucknow doit prendre rang parmi les cités les plus peuplées du monde, et l’on reste au-dessous de la vérité en évaluant sa population à cinq cent mille individus. Aussi partout dans les rues se presse une foule compacte dont votre éléphant et votre escorte ouvrent les rangs non sans peine. Au milieu de cette multitude couverte de haillons, l’on retrouve cependant quelques scènes qui rappellent les luxes de l’Inde au bon vieux temps. Un dignitaire de l’empire, vêtu de mousseline blanche, coiffé d’un coquet turban orné d’une aigrette d’oiseau de paradis et d’une plaque de diamans, s’avance sur un éléphant richement caparaçonné, entouré d’une vingtaine de serviteurs déguenillés armés de longs fusils, de sabres et de boucliers. Ou bien encore c’est un palanquin mystérieux et doré gardé par des eunuques le cimeterre au vent, et devant lequel la foule s’écarte avec respect. Voilà pour le spectacle de la rue. Quant aux mœurs des habitans, du haut de votre monture vous marchez au niveau du premier et seul étage des maisons, et il vous est facile, sans assistance de diable boiteux, de pénétrer au plus intime des pauvres ménages qui les habitent, pauvres ménages en vérité, dont