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entendre sur quelque point de l’Italie, qu’Alaric marchât sur Rome ou sur Ravenne, cette ridicule importance s’évanouissait, les généraux prenaient le dessus, et exerçaient leur omnipotence avec une rudesse qui ne lui donnait pas de longues chances de durée. Leurs adversaires, gens cauteleux et souples, experts en petites trahisons et sûrs des sympathies de leur empereur, n’avaient pas de peine à renverser ces dominateurs intolérans sitôt que le danger ne les rendait plus nécessaires. À la tête du parti des eunuques figurait naturellement le grand-chambellan Eusebius, confident intime du prince ; le parti des généraux avait pour chef le Frank Allowig, comte des domestiques, soldat fidèle, mais d’une loyauté un peu sauvage, et qui ne parlait dans le conseil que la main sur la garde de son épée. La rivalité de ces deux hommes jetait la plus grande acrimonie dans les discussions politiques ; grâce à eux, le conseil devenait comme un champ clos où l’on ne s’épargnait ni l’injure ni la menace, et où tout avis parti d’un côté se trouvait infailliblement combattu par l’autre. Connaître ces partis et louvoyer au milieu de leurs querelles n’était pas le moindre embarras des négociateurs que quelque affaire importante amenait à la cour de Ravenne.

Constantin, en homme habile, avait choisi pour les siens des eunuques chargés de s’adresser au grand-chambellan ; il supposait que d’eunuque à eunuque on s’entendrait plus aisément, et que l’or, les cadeaux, les promesses prodigués à cette sorte de gens aplaniraient bien des difficultés. En cela, il ne se trompa point. Le parti des eunuques fut pour lui. Par un hasard qui ne se rencontrait jamais ou presque jamais, les généraux barbares opinèrent aussi en sa faveur. Le contradicteur ordinaire d’Eusebius, le comte Allowig, fit même valoir avec chaleur les avantages d’une alliance avec les Gaules telle qu’on la venait proposer : cet homme, qui portait une épée, rougissait sans doute de la vie oisive et lâche qu’on le condamnait à mener devant l’ennemi, et honorait au fond de son âme le brave soldat qui avait gagné un trône à la pointe du glaive. Cet accord merveilleux entre les deux fractions de son conseil surprit Honorius, et le disposa bien pour les négociateurs. Il écouta sans trop de colère les propositions du tyran, qu’en toute autre circonstance il eût traité de brigand et de traître, titres que les empereurs légitimes n’épargnaient guère à ses pareils dans les proclamations publiques et jusque dans les lois. Sans recourir à l’argument pénible de la nécessité, le fils de Théodose pouvait justifier à ses propres yeux et colorer à ceux du monde l’acte humiliant qu’on lui demandait, et Constantin lui fournissait lui-même un prétexte honnête, celui de sauver la liberté et peut-être la vie de deux parens qui s’étaient dévoués si noblement à sa cause. N’était-ce pas pour lui un devoir sacré ? Et si, en refusant de traiter avec le tyran, il privait l’Italie de l’assistance