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UN POEME


DE LA VIE MODERNE


EN ANGLETERRE




AURORA LEIGH, by Elisabeth Barrett Browning ; 1 vol. in-8o, Chapman and Hall, London 1857.





Nous parlons rarement de poésie et d’œuvres poétiques : ce n’est point cependant par indifférence personnelle pour cette forme si élevée et si étendue du génie humain, c’est par la crainte que nos lecteurs ne partagent ni notre enthousiasme ni notre plaisir. Il nous semble toujours apercevoir le geste de dépit du lecteur et lui entendre poser cette question menaçante : « Quel rapport cela a-t-il avec notre vie et nos mœurs, avec notre manière de parler et d’agir ? Les mots de droit et de devoir, d’amour et de vertu, résonnent, il est vrai, à mon oreille ; mais je ne saurais les faire descendre jusqu’à mon humble individu, et il me semble que s’ils ont un sens pour moi, je ne le connaîtrai que dans une planète supérieure, et lorsque j’aurai quitté les conditions, de la vie terrestre. En attendant, je suis un profane, un personnage sublunaire, et je suis forcé de rester dans la situation, peu idéale j’en conviens, où le sort m’a placé. Si les poètes n’ont rien à me dire qui me touche directement, s’ils n’ont à me présenter aucun miroir qui réfléchisse une image à peu près exacte de mon individu, pourquoi perdrais-je mon temps dans leur compagnie ? Et s’ils sont si dédaigneux de ma chétive personne, qu’ils ne puissent consentir à parler un langage que je puisse entendre,