en allemand (et eussé-je parlé l’allemand, il en eût été de même à cause de la langue bernoise, qui est tout à fait distincte de l’allemand de Munich), je me confiai à la probité renommée des messageries suisses. Hélas ! non-seulement je pus à peine jouir de la belle nature, que je n’entrevoyais que par échappées, entre le faible espace qui sépare les paquets du cabriolet de derrière ; mais, victime d’un soleil ardent particulier à ces pays de montagnes neigeuses, je fus enveloppé d’une poussière telle que je n’osais plus ouvrir la bouche, et qu’un homme qui passerait un jour et une nuit dans la halle aux farines n’en rapporterait pas davantage dans la trame de ses habits. Ceci est un des moindres inconvéniens des voyages ; si les touristes n’avaient pas autre chose à raconter, il serait inutile de les écouter et de les lire. Cependant, malgré cette déclaration, il ne faut pas croire que ce qui m’arriva à Fribourg fût d’un intérêt puissant ; tout le monde peut éprouver ces petits désagrémens de la vie de voyage.
J’avais une lettre de recommandation pour un bourgeois de Fribourg ; mais je n’allai chez lui qu’après avoir acquis la certitude que seul il m’était impossible d’entendre les fameuses orgues, car voici ce que j’appris à l’auberge : l’organiste ne joue de l’instrument qu’à la condition d’être écouté d’une certaine société qui, pour se faire accorder l’entrée de l’église, paie une somme quelconque qui va sans doute à ce que nous appelons catholiquement la fabrique. Ce n’est pas l’organiste qui exige la rétribution, c’est le chapitre, si toutefois on peut appeler ainsi les desservans du pays fribourgeois.
Ne voyant apparaître aucune société d’Anglais, ne trouvant pas le couvert mis à l’auberge, je grimpai chez mon bourgeois, qui justement allait commencer à déjeuner ou à dîner, car les repas sont tellement nombreux par-là que j’en ai oublié les titres. Je fus reçu, il faut le dire, d’une façon cordiale, grâce à ma lettre d’introduction ; mais je mangeai sans grande tranquillité, préparant dans mon esprit une façon adroite de parler des orgues. Les orgues, je le prévoyais, allaient être un singulier dessert pour mon hôte, homme rouge à gros ventre et d’une santé trop parfaite. Il faisait peut-être encore plus chaud dans l’intérieur de Fribourg que sur la route de Berne. Le soleil inondait la ville, personne ne sortait, et il fallait un enthousiasme aussi prononcé que le mien pour me lancer en curieux dans une ville escarpée, en plein midi. Je frémissais pour mon hôte, qui certainement devait se proposer de m’accompagner, et qui offrait trop de prise au soleil avec son gros ventre et ses grosses joues roses. Il était presque aussi imprudent de le mener par la ville que de faire deux lieues sur la route avec une motte de beurre : je risquais de voir fondre mon digne Fribourgeois. Enfin, comme les enthousiastes sont au fond des égoïstes et qu’ils ne s’inquiètent pas