Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son gouvernement. Ce sont les monumens qu’il éleva hors de Rome dans les différentes provinces et jusque dans les pays nouvellement conquis sur les Barbares.

Trajan, né en Espagne, était un provincial, le premier qui soit arrivé à l’empire. Aussi fut-il moins exclusivement romain que ses prédécesseurs. On put dire de lui qu’il avait bâti dans tout l’univers. Il existe un arc de Trajan à Bénévent et un autre à Ancône. Il construisit sur le Rhin un pont de vingt arches et un immense rempart au-delà du Danube. Trajan comprit qu’il n’était pas l’empereur de Rome, mais l’empereur du genre humain.

Déjà les monumens dont il fut l’auteur nous ont appris à le respecter et à l’aimer. Il a mérité que Dion Cassius dît de lui que dans aucun d’eux il n’a versé le sang ; il ne s’agit pas du sang des gladiateurs, bien entendu, qui pour l’historien ne comptait pas. Si dans cette disposition d’esprit nous arrivons aux bustes du sage et bienveillant empereur, du guerrier victorieux, notre première impression sera une surprise et un mécompte.

On voit à Rome beaucoup de portraits de Trajan. Pendant un règne long et glorieux, l’amour du peuple dut multiplier ses images, et à sa mort nul n’eut l’idée de les détruire. Il est peu d’empereurs dont les traits soient mieux connus. Eh bien ! surtout au premier abord, la figure de Trajan, ce qui est rare, n’annonce pas ce qu’il a été. Il n’a presque point de front, rien d’héroïque ni de clément dans l’expression du visage. On ne retrouve pas cet air de noblesse et de douceur dont parle Pline, décidé d’ailleurs à tout admirer dans celui qu’il célébrait, même ses cheveux blanchis avant l’âge, où le panégyriste voyait une preuve de sagesse. C’est ainsi qu’il loue Nerva pour avoir rappelé les pantomimes, et Trajan pour les avoir chassés. Utrumque rectè, dit-il, ce qui peut se traduire par la locution italienne : e sempre bene. Un bas-relief de Trajan à Saint-Jean de Latran montre la noblesse unie à la fermeté et à l’intelligence, aucun de ses portraits ne fait voir la douceur dont parle Pline ; mais, en y regardant bien, on découvre dans cette figure, au premier coup d’œil assez ordinaire, quelque chose d’uni, de modeste, qui convient au Trajan de l’histoire, et cette droiture, cette bonne foi qui, au dire de Pline, se voyait dans ses regards, dans son geste, dans tout son extérieur ; quanta in oculis, habitu, gestu, toto denique corpore fides. On finit par éprouver une certaine satisfaction chaque fois qu’on se retrouvé en présence de la physionomie sans prétention de cet homme qui porta la sagesse dans le pouvoir et la simplicité dans le triomphe. L’instinct militaire et conquérant de la vieille Rome vivait dans cette âme paisible et forte. Comme il le disait, après avoir vaincu les Parthes, il eût voulu suivre jusque dans l’Inde les pas d’Alexandre. Trajan cependant ne ressemblait point à Alexandre, bien qu’il en partageât