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considérable, et la tasse revint mouillée ; il y avait donc au pied de la muraille un fossé plein d’eau. Cependant rien ne l’arrête : il est sur son terrain, c’est là qu’il faut le voir à l’œuvre.

Ceux qui se figurent que pour s’évader d’une prison il n’y a qu’à scier des barreaux et à descendre par une échelle de cordes n’entrevoient que le dénoûment, et courraient risque de rester captifs jusqu’à la fin de leurs jours. M. Orsini s’y prit comme s’il n’avait fait autre chose de sa vie. Affaibli par le régime auquel il était soumis, son premier soin devait être de recouvrer ses forces. Il y parvint en se livrant avec assiduité à des exercices gymnastiques et en buvant d’excellent vin. Rien de plus nécessaire pourtant que de dissimuler cette transformation ; il continua donc de se montrer docile et résigné. « Je bois, disait-il à ses geôliers, pour charmer les derniers jours qu’il me reste à vivre ; ne voulez-vous pas, en me tenant compagnie, m’aider à oublier ma fin prochaine ? » Les geôliers n’avaient garde de refuser pareille aubaine : d’ordinaire les prisonniers, plus économes de leurs rares deniers, boivent eux-mêmes leur vin. Un quart d’heure se passait ainsi, et souvent plus. Ce n’était certes pas du temps perdu. « Combien y a-t-il de sentinelles par ici ? » demandait négligemment l’amphitryon. Était-il possible de ne pas répondre à un si galant homme ? Si d’ailleurs quelque geôlier moins aviné ou plus avisé que les autres gardait le silence, M. Orsini avait des moyens sûrs de lui délier la langue. « Avant de marcher au supplice, disait-il, je dicterai mes dernières volontés, et je vous laisserai ma garde-robe. » A ces mots, les yeux avides de son interlocuteur s’écarquillaient. « Dieu ! quel grand homme ! s’écriait-il, jamais une plainte, jamais un mouvement de mauvaise humeur ou de colère ! » De ces exclamations l’on passait facilement inter pocula à dire la disposition du lac qui entoure Mantoue, celle des portes et des ponts, l’heure à laquelle les unes et les autres sont fermés. M. Orsini put même sans danger essayer de la corruption : ses gardiens ne crurent jamais qu’il parlât sérieusement. Dans leurs rapports au président de la cour, ils disaient à l’envi : « Le n° 3 est si bon, si doux, qu’il semble n’aimer personne autant que ses juges et nous. On lui laisserait la porte ouverte, qu’il ne voudrait pas s’échapper. »

Cet excès de bonne réputation faillit faire perdre au n° 3 le fruit de tant de peines et d’efforts. Probablement pour lui être agréable, on le réunit, dans une cellule commune, à d’autres prisonniers. Il dut se soumettre et dire adieu à ses beaux rêves de liberté. Pendant quatre mois entiers, il ne cessa de protester de son désir d’être seul, et comme ce souhait insolite aurait pu paraître suspect, il le motivait par l’intention de poursuivre en paix un ouvrage commencé. On finit par faire droit à sa requête, on le rendit à la solitude ; mais un surcroît de précautions lui fit assigner la plus formidable de toutes les cellules ; la fenêtre était distante du sol de sept pieds à l’intérieur, décent quatre à l’extérieur ; deux grilles parallèles d’énormes barreaux croisés et scellés en fermaient l’ouverture ; au pied de la forteresse, un fossé profond, et au-delà un mur d’enceinte haut de vingt pieds.

Le découragement que de pareils obstacles devaient produire dura peu : M. Orsini s’occupa de se procurer des scies. Comment les mêmes geôliers qui avaient refusé de favoriser son évasion par la porte consentirent-ils à lui procurer les moyens de s’en aller par la fenêtre ? Il y a là des mystères