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ans par cette succession de mauvaises années ; dans tous les cas, on peut l’évaluer à plusieurs milliards.

Cette perte a commencé par la récolte de 1853, mais elle a été d’abord peu sensible à cause des réserves de 1852, qui ont servi à combler une partie du déficit ; elle ne s’est déclarée sérieusement que l’année suivante. On ne peut guère l’évaluer, pour les céréales, à moins de 10 ou 12 millions d’hectolitres par an ; l’importation arrive presque à ce chiffre, et il s’en faut de beaucoup que l’importation remplisse tous les vides, l’élévation permanente des prix prouve le contraire. Or 10 ou 12 millions d’hectolitres, c’est, aux prix ordinaires, de 200 à 240 millions par an, et aux prix actuels un tiers environ en sus, ce qui donne, pour quatre ans, au moins un milliard. La perte sur le vin est plus forte encore : elle s’élève à plus de la moitié de la récolte ordinaire, ou 20 millions d’hectolitres par an, soit, à 20 fr. seulement l’hectolitre, 1,600 millions en quatre ans. La soie a diminué de près des trois quarts par suite d’une maladie incompréhensible qui atteint le ver dans la source de sa reproduction. Le bétail enfin, cette portion si précieuse du capital agricole, a souffert dans une proportion inconnue, mais certaine, du déficit de nourriture causé par la rareté et la mauvaise qualité des fourrages, la maladie persistante des pommes de terre et l’insuffisance des céréales. Tous les cultivateurs se souviennent d’épizooties terribles qui à plusieurs reprises ont enlevé les moutons par troupeaux entiers. Le gros bétail n’a pas été aussi profondément atteint, mais un symptôme significatif semble indiquer que là aussi les existences ont diminué. Les bestiaux maigres étaient autrefois à meilleur marché que les bestiaux gras ; aujourd’hui les deux prix se rapprochent et se confondent presque, si bien que l’industrie des engraisseurs, qui consistait à acheter des bêtes maigres pour les revendre grasses, ne peut plus s’exercer. La conséquence de ce fait est doublement sensible ; la qualité de la viande y perd, et, ce qui est plus grave, pour avoir la même quantité de viande avec des bestiaux maigres qu’avec des bestiaux gras, on est forcé d’en abattre beaucoup plus.

La diminution de production, qui a été l’effet naturel des circonstances atmosphériques, aurait certainement suffi pour exercer une action sensible sur la population ; un concours particulier de circonstances a achevé, de l’aggraver. Au moment où l’agriculture avait le plus besoin de toutes ses ressources pour lutter contre l’influence funeste des saisons, elle s’est vue privée à la fois de bras et de capitaux par la guerre et par un autre genre d’attraction, le luxe. Il y a peu à insister sur la guerre, son action est évidente ; on n’enlève pas impunément soit au travail, soit au mariage, la fleur de la population virile. Le nombre des hommes de vingt à trente ans étant en tout