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Seulement Londres s’est ainsi peuplé peu à peu, par sa force propre, sans aucune excitation artificielle, et il n’en est pas de même de Paris, surtout depuis 1851. La concentration des dépenses publiques sur ce point, déjà excessive depuis longtemps, a dans ces cinq ans passé toutes les bornes. Il résulte d’un document officiel publié par le ministre des finances que, sur un total de 2 milliards 379 millions de paiemens faits par le trésor public en 1855, le département de la Seine a absorbé à lui seul 877 millions. En 1850, il avait été payé dans le même département 497 millions, et c’était déjà bien assez. S’il est naturel que le siège du gouvernement soit le théâtre de dépenses exceptionnelles, il faut cependant que ce privilège ait ses limites.

Cette centralisation de l’argent du budget à Paris a cette conséquence fâcheuse, entre beaucoup d’autres, qu’elle y entretient un luxe extravagant. Pendant que les capitaux manquent en province pour les emplois les plus productifs, ils se perdent à Paris dans une foule de dépenses improductives. Le luxe de Paris est, à beaucoup d’égards, une des splendeurs de la France : même au point de vue des intérêts positifs, il contribue à y attirer une foule d’étrangers qui viennent nous apporter leur tribut de tous les coins du monde ; mais cette richesse, beaucoup plus apparente que réelle, s’évanouit presque aussi vite qu’elle se crée : elle est d’ailleurs essentiellement chanceuse, aléatoire, et le moindre choc suffit pour la réduire à néant, on l’a bien vu après la révolution de 1848. Si donc il était vrai, comme je le crains, que la nouvelle population parisienne fût uniquement alimentée par de luxe, et que ce luxe lui-même eût trouvé son principal encouragement dans les dépenses démesurées du budget, ce serait à coup sûr une des situations les plus dangereuses pour l’avenir, en même temps qu’une des plus nuisibles pour le présent à la véritable production.

La cherté croissante et universelle nous avertit de cette rupture dans l’équilibre national ; la nature des choses résiste à la violence qui lui est faite. Le surcroît de bien-être que la population des départemens vient chercher à Paris est lui-même un fait trompeur : ce bien-être n’a rien que de légitime quand il coïncide avec une augmentation de production ; mais quand il s’associe à une production décroissante, il aggrave le mal. Quand, par exemple, on donne le pain à Paris au-dessous du prix coûtant, la population de Paris y gagne assurément, le reste de la France y perd, car le prix même du blé prouve qu’il est rare, insuffisant, et plus on en mange sur un point privilégie, moins il en reste pour les autres. Ce n’est pas en abaissant le prix de la viande ou du pain au moyen des ressources publiques qu’on peut le réduire sérieusement, mais en augmentant