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le refus de recevoir la lettre à Uraga (observation dont on reconnaît la justesse), ladite lettre est reçue à Uraga, contrairement à la loi du Japon.— Comme cette ville ne peut être le siège d’aucune négociation avec des étrangers, il n’y aura ni conférences ni cérémonies officielles. C’est pourquoi, la lettre ayant été reçue, vous pouvez partir. »


Les diplomates japonais, dont nous rencontrons ici pour la première fois la prose, ne s’étaient pas mis en frais de style. Pendant la conférence, ils n’avaient pas daigné dire un seul mot ; par écrit, ils ne se montraient guère plus explicites. Leur accusé de réception n’était assurément pas de nature à inspirer au commodore de grandes espérances sur le succès de sa mission. Il annonçait des difficultés, des objections plutôt qu’une solution favorable. Il s’attachait à représenter comme anormale, exceptionnelle, et pour ainsi dire comme non avenue la conférence tenue à Uraga contrairement aux lois du Japon ; il restreignait autant que possible les proportions que les Américains auraient été désireux de donner à cette conférence ; enfin il se terminait par une signification de congé dont la forme, sèche et brève, devait à bon droit paraître brutale. On ne dit pas plus clairement : « Allez-vous-en, » et les Japonais auraient ajouté très volontiers : « Ne revenez plus. » Ils n’osèrent, mais ils avaient gagné du temps pour réfléchir à l’aise sur les demandes des États-Unis ; ils ne s’étaient nullement engagés, et ils venaient d’obtenir l’éloignement momentané de ces visiteurs incommodes dont la subite apparition avait mis en émoi la cour de Yédo. Si le commodore, peu susceptible à l’endroit des protocoles, se déclarait satisfait du résultat de sa démarche, puisqu’il avait été, sinon accueilli, du moins reçu par les délégués de l’empereur (et c’était sans aucun doute un grand point), les plénipotentiaires japonais durent éprouver de leur côté un vif contentement à l’issue de ce premier acte des négociations, car ils avaient réussi à ajourner les explications délicates, et ils allaient être en mesure de faire connaître à leur souverain que les étrangers étaient partis.

Mais le commodore, tout en paraissant très flatté de la réception qui lui avait été faite, n’était pas homme à se résigner aisément à l’ordre de départ que lui avait notifié le document japonais. Il manœuvra donc de manière à constater qu’il ne se considérait pas comme tenu d’obéir immédiatement à l’injonction, et il résolut de promener son escadre dans la baie en remontant dans la direction de Yédo. Le gouverneur et le vice-gouverneur d’Uraga, qui, à l’issue de la conférence, l’avaient accompagné à son bord, furent bien surpris lorsque la frégate, après les avoir fidèlement déposés dans leurs canots par le travers de la ville, continua sa route, suivie des trois autres navires, et se dirigea vers l’intérieur de la baie.