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gangrenés ; il a ainsi débarrassé le malade du poids incommode des membres perdus, tant la source des liquides putrides par lesquels l’économie tout entière s’infectait, et calmé même la douleur en faisant cesser par la section des os l’étranglement de la moelle qu’ils contenaient. Cette pratique est bonne dans les cas ordinaires ; en Orient, elle aurait infailliblement provoqué la pourriture d’hôpital.

On voit quels devoirs incombent, en temps de guerre, au chirurgien militaire. Un soldat ne doit que l’héroïsme des champs de bataille et l’héroïsme plus grand encore des travaux obscurs, des fatigues, des souffrances fermement supportées ; le chirurgien n’a pas seulement à payer de sa personne, à partager une partie des peines et des dangers de ceux qu’il accompagne, qu’il soigne et qu’il cherche à guérir : il faut aussi qu’au milieu de ses occupations actives, souvent trop grandes, il fasse travailler sans cesse son intelligence pour reconnaître les meilleurs procédés, la valeur de telle ou telle opération, la façon de conduire les traitemens, façon qui varie toujours quelque peu avec les circonstances. La première partie de cette tâche, tout le monde sait que les médecins de l’armée d’Orient l’ont remplie avec dévouement ; l’armée le proclamait elle-même par la vivacité de ses regrets quand elle a vu s’acheminer lentement vers le cimetière, porté par d’anciens blessés, suivi par des généraux, des intendans militaires, des officiers de tout grade, le cercueil de M. Mercier, médecin en chef de l’ambulance de droite, décoré après la prise de Malakof, mort deux mois plus tard au milieu de ses malades, pour être resté nuit et jour à l’ambulance du Carénage, pour s’être constamment privé d’un repos nécessaire. Je voudrais montrer en quelques mots que, dans l’accomplissement de la seconde partie de leur tâche, celle de l’observation scientifique, on a retrouvé chez nos chirurgiens la même attention, la même activité.


III

Après avoir porté mes investigations dans tous les régimens, m’être rendu compte de l’organisation de chacun d’eux, des causes de maladies et de décès, je réunis fréquemment les chirurgiens dans des conférences scientifiques où nous nous éclairions mutuellement, où chacun donnait la mesure de sa capacité et profitait de celle des autres. Ces conférences se terminaient toujours par une séance à l’amphithéâtre. M. Scrive, médecin en chef de l’armée de Crimée, à laquelle il a rendu de grands services, avait coutume de nous y accompagner. Là nous faisions répéter devant nous, sur le cadavre, toutes les espèces d’opérations par les médecins de l’armée. De la sorte, nous avions l’avantage de discerner les plus capables et de pouvoir les placer, dans l’occasion, à la tête des services importans.