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et la botanique inutile. Il ne restait donc que la théologie, et l’illustrissime recteur n’eut pas de peine à prouver que le jeune élève devait diriger ses études de ce côté.

— Le gouvernement et l’église, dit-il en concluant, telle est la carrière à laquelle nous devons inviter les sujets distingués comme vous ; les autres sont d’autant plus faciles à mener qu’ils en savent moins. Il est vrai que pour devenir ministre, gouverneur de province ou seulement administrateur d’un compartiment, il faut une force de caractère, une certaine inflexibilité de cœur que vous n’avez point ; mais cela vient avec la pratique. Vous ignorez encore ce qui se passe dans l’âme des méchans ; un jour ils vous le diront eux-mêmes au tribunal de la confession. Donnez-vous à l’église et à l’état, mon cher fils ; étudiez la théologie, et je vous promets un avenir brillant et heureux.

Après cette admonition paternelle dont il fit part à sa famille, Giacomo, comprenant qu’il lui fallait ou obéir ou plier bagage, tâta le pouls à son ambition, et ne la trouva pas à la hauteur du sacrifice qu’on lui demandait. Il renonça donc à une fortune certaine et rapide pour chercher dans l’exil volontaire la liberté de choisir sa profession et celle de porter l’habit court. Il se rendit à Padoue, et il y devint un des meilleurs élèves de cette université, autrefois si florissante, où le cardinal de Gurk, ministre de Charles-Quint, se trouvait honoré d’être inspecteur des études. Au bout de trois ans, il eut la satisfaction de pouvoir contempler sur ses cartes de visite, à côté de son nom, le titre d’avvocato. Ce fut tout le fruit qu’il recueillit de son éducation ; mais son séjour en Lombardie fut marqué par un événement qui décida du reste de sa vie.

Parmi les étudians de Padoue se trouvait un jeune Milanais qui passait pour le plus mauvais sujet de la ville et pour l’élève le plus paresseux de l’université. Saverio (Xavier), fils unique du marquis B…, héritier futur d’une belle fortune, suivait les cours de droit pour la forme. Doué d’une figure charmante et d’un tempérament de feu, avec des habitudes d’enfant gâté, Saverio abusait de la faiblesse de ses parens et se croyait tout permis. Ses fredaines de jeunesse avaient un caractère excessif approchant du grandiose. Giacomo comprit mieux que les professeurs le côté poétique de cette organisation puissante, vers laquelle il se sentait attiré. On vit avec étonnement ces deux êtres si différens se lier ensemble d’une étroite amitié, et les écarts de l’un se modérer sous l’influence des sages conseils de l’autre. Cependant Saverio, profitant du voisinage de Venise, avait un pied à terre dans cette ville, une gondole de louage à l’année, un abonnement au théâtre de la Fenice, et lorsqu’il faisait huit lieues pour aller applaudir une prima donna, il emmenait souvent son ami.